Mise à jour : 10 Octobre 2013

 

Abdelghani BELKAÏD

(1919 - 2012)

 

Abdelghani Belkaïd est né en janvier 1919 à S'haoula (banlieue algéroise). Il aura fréquenté plusieurs associations (El Motribiya, Gharnata, ...) avant de rejoindre l'association El Djazaïria puis la classe de Mohamed Fakhardji au niveau du conservatoire d'Alger (1948). [voir photos sur les pages Djaïdir Hamidou et Mamad Benchaouche].

Avec la création des orchestres de la Station Radio Alger (1946), on le retrouvera comme violoniste dans différents styles (Moderne, Chaabi et Andalou). Dans les années 40 et 50, il est une figure incontournable de la musique; il accompagne les plus grands noms de la scène algéroise.

Après l'indépendance, Abdelghani Belkaïd formera plusieurs jeunes talents au violon (il a été professeur de violon au sein de l'association el Djazaïria El Mossila).

Mais pour le grand public son nom restera attaché à l'orchestre Chaabi de Hadj M'hamed EL Anka.

Musicien accompli et interprète discret, Abdelghani nous a laissé de nombreux enregistrements qui mériteraient d'être exploités. De sources sures (Kamel Malti), il aurait aussi signé quelques compositions (dont une Touchia Jarka)... Des compositions et études restées, hélas, dans ses tiroirs.
   

Société des Concerts du Conservatoire (vers 1964)

   
Retiré en France dès les années 1990, il maintiendra toutefois une timide activité musicale avec de rares passages devant le public. [voir photo ci-contre avec la chanteuse Nassima en 2006]
Le cercle d'amis qui s'est formé autour de sa personne lui donnera l'occasion d'exhumer quelques pièces rares. Le professeur Saadane Benbabaali, qui l'a le plus approché durant cette période, a eu le grand mérite d'avoir immortalisé ces moments de "pur bonheur" où l'on découvre (redécouvre) un style très marqué (qu'on croyait perdu), une interprétation pleine "d'énergie" et de joie communicative... un art si particulier (pour ne pas dire authentique) qu'on ne risque pas de retrouver de sitôt.
   
Abdelghani Belkaïd, une figure légendaire de la musique, nous a quittés en décembre 2012.
   
Biographie à enrichir...
   

PETIT HOMMAGE

   
Abelghani Belkaïd est un des rares musiciens du 20 ème siècle à avoir su "marier" les différents styles de musiques dites "citadines" (Çanaa, Chaabi et chansonnettes modernes). Aussi, nous avons voulu lui rendre ce petit hommage en initiant le volet de la poésie populaire (Melhoun dite aussi Gherbi - littéralement qui vient de l'ouest c'est-à-dire du Maroc -) sur le site YAFIL.
   

1. Comment scander la poésie Melhoun...

   
La poésie en langue arabe populaire (Melhoun, Hawzi, Arubi, ... ) serait basée sur l’alternance deux entités syllabiques :
- La Syllabe longue = (Consonne + Voyelle) + (Consonne muette) ; notée : "10" ou "_"
- La Syllabe Sur-longue groupée= (Syllabe longue) + (Consonne muette) ; notée : "100" ou "___"
   
Exceptionnellement, avec l’utilisation de mots empruntés à l’arabe classique, on retrouve la syllabe brève (notée "1" ou "U" ). Cette syllabe est généralemnt comptabilisée comme une syllabe longue auquel cas elle n'altèrera pas le décompte des syllabes dans l'hémistiche (le vers).
Mais il arrive aussi qu'elle soit associée à une Syllabe Sur-longue séparée [(Syllabe longue) + (Consonne + Voyelle) ; notée "101" ou "_U"] . Dans ce cas elle modifie le décompte des syllabes et sera considérée comme une syllabe additive.
   
Le rythme est défini par la position constante des syllabes Sur-longues (groupées ou séparées) à l'intérieur de l’hémistiche – Shtar -. Pour tous les hémistiches d'un même rang le nombre d'entités syllabiques (Longues + Sur-longues) reste, en principe, une constante du rythme.
Le nombre d'entités syllabiques (à ne pas confondre avec le nombre de syllabes) et la position (constante) des Sur-longues définissent le mètre Melhoun.
   

2- Un exemple concret chanté par le regretté Abdelghani...

   
Voici une Qacida Melhoun attribuée au poète Mohamed Ben Ali Al Aamrânî alias Ould Ar_R'zîn né en 1742 (1154 de l'hégire) au Maroc. Ce texte très prisé dans le répertoire classique de la Âla marocaine (Berouala) figure dans plusieurs Noubate (généralement avec le Mizane Derdj).
En Algérie, où il il est absent du répertoire apparenté à la Nouba, il est pratiquement inconnu du grand public et même des "connaisseurs".
Le Maître Abdelghani Belkaïd nous le fait découvrir façon musique Chaabi dans le mode Mezmoum.
   
Le texte que nous présentons est une proposition de "Révision": Il a été "revu" (après quelques recoupements) pour respecter la structure métrique du mètre "Al Rajaz premier" du Melhoun marqué aux positions 2 et 3 dans l'hémistiche.
On pourra comparer le résultat avec le texte en usage au Maroc (Derdj de la Nouba Oshâq) en consultant la compilation « Min Wahyi Al Rabab » de Hadj Abdelkrim Raïs https://sites.google.com/site/starziko1/andaloussi/rtyrj
   
Les textes de la poésie Melhoun à l'instar des Zajal (et Muwwashah) contiennent pratiquement tous des "défauts" métriques qui viennent s'ajouter aux autres défauts "courants" dont souffrirait tout le répertoire maghrébin (mots mal transcrits dus à des erreurs de copistes ou à la tradition orale, substitutions malheureuses opérées par les chanteurs, etc.). La question est de savoir s'il faut abandonner ces textes (merveilleusement écrits pour la plupart) avec leurs défauts ou s'il faut "tenter" des propositions de restauration en attendant d'éventuelles découvertes de manuscrits crédibles. La démarche du groupe Yafil est connue...
   
Remarque: Il n'y a toujours pas de convention établie pour transcrire (écrire) la poésie Melhoun et l'arabe dialectal. Nous avons opté pour une écriture "mixte" (façon anciens manuscrits avec une vocalisation aussi proche de la prononciation)
   

Strophe 1 = Les premières lueurs du jour, les oiseaux

   

Matlaa = Refrain: Le matin est tel un seigneur qui laisse tomber la traîne ( "dhîl" ) de son ample voile (blanc) ( "Izâr" ) ; Pour se revêtir d’une couverture ( 'Ghifâra" ) de soie imprimée ("Dibâdj" ) (=aux couleurs multiples). Et la nuit est tel un jeune adolescent (ou esclave) noir aux favoris grisonnants ("3idhâr" ) (=les poils blancs sur ses joues sont comme autant d’étoiles); Et qui, de son éclat (de sa beauté), entretient la lumière d’une lanterne (ou d’un phare) (=la lune ?)

 

Aghçâne = Couplet: Le matin est comme un grand aigle (blanc) qui s’élève dans les airs; Et la nuit est ce corbeau (blessé) qui perd son sang (=qui teinte le ciel au petit matin). La lumière du jour inonde déjà le ciel; Elle lance (déploie ) ("Arkhâ" ) ses oiseaux de proie (orfraie ou petit aigle) ( "3uqâb" ) à la poursuite des ténèbres. Ne vois-tu pas la colombe (= lumière blanche du jour naissant) qui vient de la Qibla (l’Est); N’est-elle pas comme un imam en son mihrâb (= Niche pratiquée dans le mur d'une mosquée et qui indique la direction de la prière)

   

Matlaa: La voûte céleste a tourné par l’ingéniosité de Celui qui lui imprime son mouvement de rotation; C’est le moment où elle occulte les planètes ("Siyyâr" ) (= les astres mobiles). Une brise matinale souffle entre [… ?...] et ses fleurs, Elle vient agiter ("Shâsh" , "Shuwwash" ) nos grands arbres ("Dawha" ) resplendissants.

   

Strophe 2 = Le jardin

   
Couplet: Les arbres parés se dressent entre les canaux d'irrigation; L'eau leur fait comme des bracelets de pied et les fleurs leur ajoutent des couronnes; Les calices (des fleurs) sont comme des mains tendus qui prient le Seigneur;
Refrain: Les branches fleuries (amandiers) rembourssent (laissent tomber) des pétales comme autant de pièces d'or (dinar) pour les bons augures d'un matin. Les oiseaux sont comme un prêcheur du haut de sa chaire qui fait la morale aux branches ivres.
   

Strophe 3 = Le vin du matin

   
Couplet: Les charmes de la matinée charment les amoureux et les repentis (à l'amour); Le jardin se pare d'habits propres (neufs) qui exhalent un parfum suave; Et le vin qui rappelle un ciel doré lance des flèches enflammées sur le Raqîb (L'envieux).
Refrain: Verse-le donc de sa carafe Ô l'échanson et fais-vite le tour des convives (buveurs); Et bois à la santé des beautés (lunes et soleils) qui ont honoré ton assemblée.
   

Strophe 4 = L'invitation à profiter de la vie

   
Couplet: Profite de ta matinée avec la belle, Ne vois-tu pas que le temps a suspendu son cours.Eclaire-toi à la lanterne du bonheur, Celui qui ne profite pas (de ces instants) ne connaît pas le plaisir. Et si les (tes) vents te sont favorables (= si la chance te sourit), Ta paupière surnagera au-dessus de la crue ( "Hamla" ) (ici=les larmes de bonheur ).
Refrain:Laisse donc ton ennemi se retourner sur ses braises, Et réjouis-toi des signes du bonheur (ou bons augures "imâra" qui donne "imâyar" au pluriel). Celui à qui son jardin (" rawdu" ) offre généreusement des fleurs (=bons moments) se doit de les cueillir (= profiter), Car la vie (= les jours) passe comme un nuage capricieux et ingrat ( "battâra" ). 
   

3. Petite Analyse ( Strophe I ):

   
Les Matlaa (refrains) se présentent avec un premier hémistiche en dix syllabes (marqué aux positions 2 et 3 -surlignées en vert et jaune) et avec un second hémistiche en sept syllabes (marqué aux mêmes positions 2 et 3).
Les Aghçane (couplets) utilisent des vers à sept syllabes par hémistiche (ce qui semble être la base de toute la poésie Melhoun) avec un marquage qui porte sur les positions 2 et 3; c'est-à-dire sur les mêmes positions.
On remarque que le poète utilise et exploite une unité métrique et rythmique avec un marquage sur les positions 2 et 3. Ce mètre du Melhoun serait rattaché à la famille du "Rajaz premier" ; il se distingue cependant par l'absence de marquages aux positions 9 et 10 (cas général du rajaz premier). Enfin, la structure de la poésie épouse la forme classique de la poésie strophique du Muwwashah et du Zadjal.
   

   
Remarque: Les règles de la poésie Melhoun restent assez simples alors que les contraintes d’écriture semblent relativement complexes: Cela ne fait que confirmer le génie de nos grands poètes maghrébins qui dit-on maitrisaient les deux registres (classique et populaire).
   

Notes

   
1- Le Cheikh Abdelghani BELKAID chante (3ème vers du couplet 1) : « Hmâm al Qablah » au lieu de « ‘Hmâm ». En fait, beaucoup de musiciens (chaabi, andalou et autres) de son époque, qui étaient pratiquement tous issus de l’école française, tenaient des carnets (textes) écrits (ou plutôt transcrits) en caractères latins : les deux consonnes "Ha" et "Ha" se transcrivent de la même façon avec un (H) ; d’où certaines confusions...
 
2- Dans son interprétation, Abdelghani, ne respecte pas l'ordre des couplets (tels qu'on les trouve dans la version marocaine). Par ailleurs, il utilise d'autres formules (d'autres mots). Or, certaines de ces formules sont plus "pertinentes" (du point de vue de la métrique) que celles de la version marocaine !
   

4. La transcription et l'enregistrement (Extrait)

   

   
La position des Sur-longues est indiquée sur le texte musical. On remarquera que la cellule rythmique se compose de deux mesures à 8/8. La deuxième strophe est sur le même modèle que la première avec une légère variation au Ghessen.
 

Abdelghani BELKAÏD (Extraits Couplet 1 et 4) Flash >>:

Autrement : Subh.mp3

 

Ouvrir le midi pour avoir une idée de la transcription (sans les reprises)

Avec Explorer :

Autrement: Subh.MID

 

Y.T

Octobre 2013

Photos Collections Waïl Labassi, Ahmed Serri, Nassima. Enregistrement Collection: Waïl Labassi. Bibliographie: Harkat Mostefa "La poésie populaire algérienne; textes et théorie" AFAQ Alger 2007

 

 
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Contact : groupe_yafil@hotmail.com

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