Mise à jour : 25Octobre 2013 (révision juin 2020)

 

Etude du Meçaddar Maya

" Layâli Surûr "

Dans les quatre traditions Alger, Tlemcen, (Oran), et Constantine

 
 

1. Meçaddar Maya "Layâlî Surûr"

 
Les versions de Tlemcen et d'Alger pour ce Meçaddar se ressemblent un peu trop au niveau des structures mélodiques (où la cohérence semble faire défaut). Ceci nous suggère qu'elles (les deux versions) proviendraient d'une même version qui aurait été remodelée par les traditions de ces deux pôles importants de la musique traditionnelle.
Par ailleurs, ces deux versions ne contiennent pas assez d'éléments pour nous aider à "esquisser" une proposition de restauration de la mélodie.
Une troisième version, dans la tradition oranaise (proche de celle de Tlemcen dont on dit qu'elle serait issue), est signée du Maalem Ebeho - Elie Bensaïd -. Elle nous fournira - peut-être ? - un des "chainons" manquants. Il y en aurait plusieurs, hélas!
L'interprétation du Maalem Bensaïd est intéressante dans la mesure où elle si situe, en quelque sorte, entre Tlemcen et Alger. Comme si chaque région voulait s'accaparer le répertoire pour elle-seule en apportant des modifications "ciblées" (de structures, de textes, de mélodies...) à une éventtuelle et "hypothétique" tradition-Source. On pourrait dire que la version de Bensaïd est une version "fleurie" de la version de Tlemcen. Mais Bensaïd s'est peut-être "abreuvé" à une autre source car les petites différences et les ornements "systématiques" qu'il utilise sont - pour nous - des indices révélateurs de cette transmission du patrimoine à travers plusieurs "canaux" ?).
   
Nous donnerons aussi la version de Constantine qui se présente avec une mélodie complètement différente. Une mélodie qui ne partage avec les versions de Tlemcen et d'Alger que quelques stations principales; c'est-à-dire les notes importantes communes à tous les morceaux de la Nouba Maya.
D'un autre côté, les formules mélodiques qu'on trouve dans la version de Constantine pourraient nous aider à combler les "lacunes" rencontrées dans les autres versions.
L'étude comparée des différentes versions (d'un même morceau) apporte toujours un "éclairage" nouveau sur le répertoire des Noubate pris dans son ensemble.
   

  2. Le Texte dans la version Bensaïd (comparé aux versions courantes Constantine, Alger et Tlemcen)

 
Comme la version du Maalem Bensaïd semble la plus "enjolivée" et la plus "riche" en éléments musicaux (et pour ne froisser ni les musiciens d'Alger, ni ceux de Tlemcen) on se permettra de la prendre comme version de départ - pour le texte et la mélodie.

 

Les substitutions (de paroles) qui restent conformes à la métrique (et qui n'altèrent pas le sens de la poésie) restent toujours des options permises (et souvent pratiquées par les chanteurs). Pour notre texte, nous les avons "repérées" dans un cadre vert": Nous constatons alors qu'elles sont presque toutes pertinentes.
Celles qui seraient "défectueuses" sont repérées en rouge. On voit qu'elles ne concernent que le second hémistiche du premier vers - Ghessen 1 - (toutes traditions confondues) et le second hémistiche du quatrième vers - Matlaa 1 - (pour les versions de Tlemcen, Oran)
 
Ce texte de facture si simple cacherait en réalité une métrique complexe. Et c'est justement la métrique qui nous suggère que la principale variante actuelle du premier vers qu'on retrouve aussi bien à Alger, qu'à Tlemcen ou Constantine n'est pas "pertinente".
 
Dans les différentes interprétations et versions on remarquera un "hiatus" (qui ne passe pas inaperçu et que chaque tradition traite à sa manière); hiatus qui se situe au niveau du découpage/chant du premier vers au deuxième hémistiche : "Fi Husni_z Zamân" pour Alger et Constantine (avec 5 syllabes mais avec une brève en 4 ème position dans l'hémistiche) et "Fi Mabda3i_z Zamân" pour Tlemcen et Oran (avec 6 syllabes - au lieu des 5 syllabes - et avec deux brèves aux positions 3 et 5 )
En conclusion: Le premier vers poserait donc problème et il ne faudrait pas le prendre comme modèle de découpage pour chanter les autres vers. Or, souvent, les chanteurs (qui font l'économie d'apprendre tout le morceau) se basent sur ce premier vers pour ensuite "poser" les autres vers: un excercice "périlleux" pour celui qui ne maîtrise pas le texte et qui conduit parfois à de sérieuses incohérences devant des défauts métriques - non résolus - .
 

3. Les sources manuscrites

 
Question: Comment expliquer qu'on se retrouve avec un défaut métrique dans les trois grands pôles de la musique alors que nous avons des sources (manuscrits d'époque) qui donnent une version "conforme" à la métrique ?
 
Ci-dessous la page d'un manuscrit où, au deuxième hémistiche du premier vers, on peut lire et avec deux réalisations possibles : "Fi HusNi Lazmân" (conformément à la prononciation de la Çanaa pour respecter la métrique du texte) ou alors "Fi Husni_l Azmân" (avec 5 syllabes longues mais sans réaliser le rythme de la poésie car la syllabe brève en troisième position disparaît)
 
Le mot "Azmân" (utilisé dans le manuscrit) est un pluriel du mot "Zamân" (chanté actuellement); "Azmun" et "Azminah" sont les deux autres formes du pluriel.
D'après le dictionnaire "Lissan al arab"; le mot "Zamân" représente essentiellement une durée, un vécu (la durée d'une vie), une période qui va de deux à six mois; une saison, etc. Pour notre texte, "saisons" (au pluriel) serait une bonne traduction.

Page d'un manuscrit (milieu des années 1800) qui propose une version plus cohérente du texte.Collection: Smaïl Hini

 

4. Le Diwan YAFIL (1904)

 

Page du Diwan Yafil (1904) où le second hémistiche du premier vers apparaît "défectueux" avec, comme dans la version actuelle (chant et texte): "Fi Husni_z Zamân".
 
Le texte présenté par le Yafil ne diffère pas de beaucoup de celui de l'ancien manuscrit (puisque Yafil lui-même nous dit que son recueil de texte - Diwan - est une compilation d'anciens manuscrits).
Deux changements sont visibles : le premier au niveau du deuxième hémistiche du premier vers (qui affecte la métrique du texte) et le deuxième au niveau du quatrième vers (Matlaa) (sans incidence sur la métrique).
 
Remarque: Le premier vers du Matlaa (quatrième vers) est celui qui apparaît aussi dans la version actuelle de Constantine. Le mot "Masrû3" apparaît dans une forme "douteuse" et "non valide" pour un verbe intransitif comme "Sara3a" (aller vite). La forme usuelle étant "Musri3" (d'où la version d'Alger et d'où - aussi ? - la "suppression" pure et simple du mot "douteux" dans la version de Tlemcen).
A ce niveau, on peut penser à l'éventualité d'une "faute de copiste" : le mot "originel" serait alors "Masrûh" (lâché, mis en liberté, littéralement: "libre d'aller paître"). La traduction donnerait :" Le matin est arrivé (bien vite); (comme) lâché à mes trousses". [voir sur le manuscrit les graphies proches des lettres consonnes Ha et du 3'a en postion finale non-liées]
 
Notes:
1- On ne retrouve pas la mention d'un sixième vers, ni dans le manuscrit, ni dans le Yafil. Ce sixième vers additif (actuel) ne serait qu'une sorte de variante du cinquième vers (inspirée d'un autre texte de la Nouba) qu'on chante pour ne pas devoir reprendre le cinquième vers à l'identique; vers qui fait office de refrain (Khmassa) pour ce texte.
2- La deuxième strophe de ce texte; intitulée "Bitnâ fi Hanâ" (à ne pas confondre avec le Derdj Raml al Maya) vient nous confirmer la formule métrique du texte.
3- Les positions des syllabes brèves ont été signalées (sur la page du Diwan Yafil) par la vocalisation en rouge que nous avons ajoutée : le Diwan Yafil est un recueil non vocalisé.
4- Le défaut métrique aurait-il été introduit avec la publication du Diwan Yafil ? La question mérite d'être posée quand on sait l'influence qu'a eu ce Diwan dans le microcosme de la musique traditionnelle.
 

5. La métrique

 
Voici la décomposition (phonétique) qui sert à l'identification de la formule métrique. Le texte est, sans surprise, dans la forme qu'on lui connaît sur le Manuscrit d'Alger.
Remarque: On peut aussi utiliser - au troisième vers - le mot "Hubûr" (comme dans la version courante actuelle) à la place du mot "Surûr" pour éviter une répétition pas très appréciée en poésie arabe : le mot "Surûr" apparaît une première fois au premier vers. Les autres substitutions restent permises (cadres vert sur le texte de la section Une).
 

 
La forme métrique apparaît comme la suite de syllabes Longues et brèves suivante :
[ L / L / L / b / L " - " L / L / b / L / L ] (avec des brèves à la postion 4 pour le premier hémistiche qui compte 5 syllabes et à la position 3 au second hémistiche qui compte, lui-aussi 5 syllabes).
Dans cette suite on reconnaitra une forme métrique "éclatée" qu'on identifiera au mètre Al Hazaj iranien (hémistiche à trois paradigmes). [Rappel: la théorie métrique d'Al Khalil décrit le mètre Al Hazaj avec trois paradigmes mais sa réalisation effective - en poésie arabe classique - n'apparaît qu'avec deux paradigmes par hémistiche.] Cette forme du Hazaj (de la famille du Dubit iranien) s'est imposée en langue arabe à l'époque du royaume de Grenade sous les Naséride du 13 ème siècle.
Nous retrouvons, dans le répertoire chanté actuel de la Çan'a, toute une classe de poésies appartenant à ce mètre (ou qu'on pourrait associer à ce mètre).
 
Précision: Le Hazaj est un mètre basé, en théorie, sur le seul paradigme de base "Mafâ'îlun". Dans la pratique (réalisation effective), les trois paradigmes de la forme métrique - pour notre texte - présentent différemment. Les premier et troisième paradigmes seront défectifs. (voir section sur la poésie et la métrique arabe sur le site). Et, dans cette forme "éclatée" le deuxième paradigme est séparé en deux par une césure qui introduit une syllabe Surlongue pour réaliser la rime médiane.
 
Pour en savoir plus : GARCIN DE TASSY "Prosodie des langues de l'orient musulman" Paris 1873 ; ouvrage complet sur la poésie arabe, iranienne, turque, hindoustanis. (Disponible sur Google livres)
 

Phonétique

La / Ya / Li / Su / Rûr * Fi / Hus / Ni / Laz / Mân

In / Na / Ha / Ta / Dûr * Aan / Kul / Li / In / Sân

Bit / Na / Fi / Su / Rûr * Far / Hâ / Wa / Sul / Wân

Waq / Dû / Maç / ça / Bâh - Mus / Ri3 / Li / Aj / Li

A'3 / Lâsh / Yâ / ça / Bâh - Far / Raq / Ta / Sham / Lî

Bil / Lâh / Ya / ça / Bâh - Adj / Maa / Li / Sham / Lî

 

Traduction Littérale

Les nuits d'allégresse ; (S'ajoutent) au charme des saisons (à la vie);

Elles s'en vont et reviennent (s'alternent, tournent); (Pour le bonheur) de chacun;

La nuit passée ensemble (en bonne compagnie) dans la joie; Gaiété et soulagement.

Mais le matin arrive ; Bien trop vite (à mon goût ) et uniquement pour moi (pour mon déplaisir)

Pourquoi, Ô matin ; Tu m'as séparé de ma belle ?

Par Allah, je t'en prie Ô matin ; réunis-nous à nouveau.

 
Dans pratiquement tous les textes de la Nouba le matin sépare irrémédiablement les amants. Alors, le poéte adressera plutôt sa supplique à la nuit (ce qui est plus logique et cadre mieux avec l'idée d'alternance des nuits de plaisirs). Par exemple:
:" Par Allah, je t'en prie Ô nuit; réunis-nous à nouveau".
Quand il s'adressera au jour il dira par exemple :
" Par Allah! Ô matin, repens-toi et ne reviens plus jamais";
Le sens douteux de ce 6ème vers (de la version actuelle), cette prière qui n'a aucune chance de se réaliser (celle de retrouver l'amante de jour) expliquerait peut-être l'absence de ce vers dans les anciens manuscrits (dont le Yafil). [?]
 

6. La Version du Maalem Ebeho Benasaïd

 
Voici ci-dessous la transcription et l'enregistrement de la version du Maalem Bensaïd. Cette version très "colorée" nous expose quelques techniques d'ornementations.
 

Le Ghessen

 
1- Le premier hémistiche expose clairement ses 6 mesures avec une sonorité "Sika" (qui passe par le Si naturel). La note de station (finale) de ce pavé est un " ". Notons, que ce pavé se termine sur un " Mi " dans les deux versions proches d'Alger et de Tlemcen.
2- Le deuxième hémistiche apparaît en 7 mesures. Il est pratiquement identique aux deux autres versions (même structure mélodique aux nuances des signatures finales près.)
Chez Ebeho et à Alger on retrouve une "chute" vers le Do à la troisième mesure de ce deuxième hémistiche alors que dans la version de Tlemcen on soutient encore et toujours le "Mi".
 
Le Ghessen se déploie sur 13 mesures au total, ce qui pose comme un problème pour définir une structure rythmique étendue (Mizane) à huit, douze ou seize temps (Structures courantes et probables pour la Nouba). Ce Ghessen, tel qu'il se présente, reste donc "déséquilibré" dans sa construction...
 

Le Matlaa

 
1- Le Matlaa (en 15 mesures) avec ses trois pavés de 5 mesures chacun semble un peu mieux "distribué"; mais juste en apparence car la structure rythmique est juste mieux "compensée".
2- Le deuxième pavé est un motif qu'on retrouve intégralement dans la Nouba Sika (Zâd Al Hubbu Wajdi; par exemple); Ebeho le fait précéder de deux mesures aux sonorités Sika bien "soulignées" (qui passe par le Sol#) contrairement aux deux mesures qu'on utilise à Alger et Tlemcen (Tlemcen qui ajoutera deux temps supplémentaires - par rapport à Alger et à Ebeho - qui viennent "perturber" le cadre de la mesure simplifiée à 4/4).
3- Dans la version de Ebeho (et dans celle de Tlemcen) on retiendra le fait que le troisième pavé (pavé final) ne signe pas à la façon du Ghessen. Est-ce la signature d'un autre mode proche ? On pense à un Rasd-ed-dhîl qui souvent fait appel au mode Sika, mais on ne peut rien affirmer à ce stade de l'étude.
 
Un Ghessen en 13 mesures, un Matlaa en 15 mesures, voilà une pièce qui semble plutôt mal équilibrée dans sa construction mélodique.
 

  Elie Bensaïd : "Layali Surûr" => :

Autrement : Elie-Bensaid.mp3

 

7. La Version de Tlemcen

 
La version de Tlemcen (du moins la version que nous présentons et qui est interprétée par un maître de l'époque - Mohamed Bensari ; le fils aîné de Cheikh Larbi Bensari -) est une version très "pédagogique"; c'est visiblement la mélodie de base pour ce Meçaddar où on pourra "greffer" toutes sortes d'ornements qui restent compatibles avec l'esprit de cette pièce.
Dans cette version de Tlemcen, on ne retrouve pas les chutes vers la note Do dans les stations secondaires du mode; et c'est uniquement la note Mi qu'on soutient: (fin du premier pavé et mesure 3 du second pavé au ghessen).
Comme chez Bensaïd on notera l'utilisation d'une autre signature au Matlaa qui se présente aussi en trois pavés. (les deux temps supplémentaires au premier pavé faussent le cadre de la mesure simplifiée à 4/4). Sont-ils de trop ou alors manque t-il deux autres temps pour réaliser la mesure à 4/4 ?
 
Question: Comment une pièce avec 13 et (15 + 1/2) mesures comme ce Meçaddar a-t-elle pu être accompagnée avec un rythme à 16 temps ou 8 temps (Qcid ou Bashraf) sans que cela ne dérange personne ? Le percussionniste a fait des prouesses; c'est un fait indéniable!
 
Il semblerait (d'après les études en cours) que le système rythmique généralisé à Tlemcen dans les années 30 n'était pas (n'est pas) un système "parfait". Il restait un tas de problèmes à résoudre aux musiciens pour "faire cadrer" la musique léguée par les anciens dans le moule peut-être un peu "trop rigide" de la "nouvelle et séduisante" conception rythmique. Mais, si l'idée d'une "mesure étendue" a été émise par les musiciens de l'époque (ces rythmes sont cités dans l'édition 1904 du "Kashf Al Qinaa" de Bouali) c'est qu'elle devait être présente dans la musique ancienne. Et si le "système" ne marche pas "encore" comme prévu c'est que peut-être la musique "léguée" a dû perdre de la "matière" (fragments disparus): Ceci reste une hypothèse de première approche qu'il faut explorer avant de penser à une musique ancienne où cohabiteraient plusieurs types de mesures dans un même morceau...
 
Remarque: L'accompagnement chez Bensaïd est en 4 temps, ce qui a pour effet (comme dans la pratique algéroise) de "masquer" les défauts d'équilibrage de la structure mélodique.
 

Mohamed Bensari: "Layâlî Surûr" => :

Autrement : Mohamed-Bensari.mp3

 

  8. La Version d'Alger

 

Ghessen

 
Le Ghessen de la version d'Alger ne différe de celui de la version de Tlemcen que par trois points:
1- Le premier pavé apparaît plus court avec seulement 5 mesures. Il signe en Mi.
2- Au deuxième pavé, on retrouve une des chutes vers le Do comme dans la version Ebeho (mesure 3 , pavé 2)
La signature finale utilise une formule typiquement "algéroise" qu'on retrouve chez les anciens Maalem (vieux enregistrements de Yamna, Saïdi, Laho Seror...). La structure mélodique reste identique à celles des autres versions.
 

Matlaa

 
1- Le Matlaa appraît avec le même premier pavé que dans la version de Tlemcen (à la petite différence dans l'attaque). [Les trois premières mesures de ce Matlaa se retrouvent au début du Btayhi Sika "Rimun Nadhratnî".]
2- Le deuxième pavé - motif du Sika - est écourté de deux mesures (par rapport à la version Tlemcen et Ebeho). Il est en trois mesures au lieu des 5 mesures dand les deux autres versions.
3- Le troisième pavé est une sorte de "compilation" : Avec une première mesure (attaque) comme dans la version de Tlemcen (et de Ebeho) auxquelles viennent s'ajouter les six dernières mesures du Ghessen. Cette construction - qui pose un problème d'équilibrage (pavé trop long) - est à rapprocher de l'esprit de la pièce de Constantine.
Le Matlaa à Alger signerait donc comme pour le Ghessen; c'est-à-dire qu'il y aurait un retour au mode principal .
 
Par rapport aux deux précédentes versions, le Ghessen à Alger est plus "court" d'une mesure. Le Matlaa, en 15 mesures, présentera la même longueur mais apparaît avec une autre structure mélodique et une autre distibution pour les paroles (puisque le troisième pavé à Alger porte des paroles alors qu'il est réservé aux vocalises - Tlaliya - à Tlemcen.).
 
On comprend alors que même à Alger, on aura en plus du problème d'équilibrage de la construction mélodique le problème de la "conception" du Matlaa.
 

Sid Ahmed Serri " Layâli Surûr" => :

Autrement : Ahmed Serri.mp3

 

9. Y a t-il une "solution" au problème d'équilibrage de ce Meçaddar ?

 
A l'examen des différentes versions proposées on devine que la structure mélodique de ce Meçaddar a dû être écourtée à quelques endroits. Mais, une mesure étendue se dessine : La mesure à 12 temps - trois (3) mesures simplifiées à 4/4 - comme on peut la trouver dans d'autres Meçaddar de la Nouba Maya ainsi que dans d'autres morceaux du répertoire. C'est la mesure "minimale" qui permet de réaliser l'équilibrage de la constructution mélodique.
 
Pour rester au plus près possible des versions courantes et des constructions que nous observons dans les Meçaddar des différentes Noubate; il faudrait :
 

1- Que le Ghessen se présente en 15 mesures à 4/4 (au minimum)

 
a- Les six (6) premières sont déjà dans la version de Ebeho Bensaïd - avec la chute vers le après un passage par le Si naturel - ou dans la version de Tlemcen (avec ce Mi trop "long").
 
Pour Alger (et même pour Tlemcen si on veut se "débarrasser" du Mi -plutôt "long"), l'idée serait d'ajouter une mesure à la fin du pavé un peu à la façon de Bensaïd mais tout en restant sur le Mi pour conclure.

Proposition pour la forme de la fin du premier pavé (Alger , Tlemcen)

 
b- Le deuxième pavé serait en neuf (9) mesures: Pour cette pièce, il y aurait donc un "vide" de deux mesures à combler.
Tout le problème de ce Meçaddar réside donc dans ces "deux mesures" manquantes qui permettent de réaliser l'équilibrage de la construction mélodique. Plusieurs propositions ou options plus ou moins "intrusives" restent possibles et ouvertes:
1- " Insérer " deux mesures sans "toucher" aux autres mesures du pavé. [Nous avons esquissé deux propositions pour ce cas, mais elles ne "colleraient" qu'avec les versions d'Alger et de Tlemcen - présence du Si bémol]
2- " Insérer " les deux mesures en remodelant une ou plusieurs mesures du pavé. [Nous avons, là encore, esquissé deux propositions.]
 

2- Que le Matlaa se présente en 18 mesures à 4/4.

 
a- Les cinq (5) premières mesures qui sont dans l'esprit "Sika" sont déjà présentes (dans toutes les versions). Il faudrait juste "remodeler" les deux dernières mesures pour arriver à un pavé de six (06) mesures.
Une signature à l'algéroise (avec Si bémol et Sol) ou une signature à la Ebeho Bensaïd (avec Si et Sol #); le choix est simple car il faudra rester dans le Sika: le seul souci sera de veiller à rester "homogène" par la suite (par exemple ne pas introduire de Sib si on opte pour la façon Ebeho avec Sol#).
 
b- Les trois (3) mesures suivantes sont celles (intégrales) du pavé "Sika" d'Alger (ou du début du pavé de Tlemcen et Ebeho). Ces trois mesures pourront supporter les paroles du deuxième hémistiche du Matlaa (au lieu du texte écourté de la version de Tlemcen).
 
c- On obtient les trois mesures suivantes en ajoutant une mesure à la fin du deuxième pavé du Matlaa dans la version de Tlemcen (Ebeho).
 
d- Les six (06) dernières mesures sont obtenues à partir du troisième pavé de cinq (05) mesures des versions Tlemcen et Ebeho en doublant l'avant-dernière mesure du pavé pour refaire apparaître la signature principale (suggestion de la version d'Alger) ou confirmer la signature d'un mode proche.
 
Dans la version d'Alger on utilisera le pavé du Ghessen (qui a été remodelé en 9 mesures). Dans ce cas, on comprend pourquoi les trois mesures (du point "c", fin du deuxième pavé de Tlemcen) sont absentes de la version d'Alger. La réalisation des 18 mesures à Alger exclue - automatiquement - la vocalise du Matlaa. Mais avec cette présentation en deux pavés de 9 mesures (un pavé par paradigme), la version d'Alger pour le Matlaa restera "statistiquement" improbable: Dans les Meçaddar (algérois) la structure mélodique en 9 + 9 est quasi absente des Matlaa (et même des Ghessen).
 

Une proposition pour le Meçaddar "Layâli Surûr " (Version Ebeho Bensaïd)

 
A partir des remarques précédentes on peut avancer plusieurs "propositions" pour réaliser un équilibrage dans la version de Ebeho Bensaïd. Les propositions pour les versions Alger et Tlemcen (identiques au Ghessen et différentes au Matlaa mais avec les mêmes structures mélodiques et aux détails des signatures finales près) se devinent alors facilement.
 
Voici, ci-dessous, une de ces propositions appliquée à la version de Ebeho (proposition 2013 revue en 2020):

 

Bilan

 
Pour le Ghessen : Ajout de deux mesures en deux étapes:
1/ Remodelage en introduisant deux temps en Fa; temps présents dans la version de Tlemcen (et celle d'Alger) et qui supporteront la syllabe brève (cadre bleu-vert, troisième ligne);
2/ On garde l'idée de départ de Ebeho mais on complète la "cascade" amorcée par Ebeho et qui exploitera l'échelle descendante vers le Do (cadre rouge-jaune quatrième ligne) [la figure que fait Ebeho peut être "simplifiée" (notes en rouge) pour mieux souligner le mouvement (= trois mesures construites sur le même modèle)]. [On retrouve un peu cette idée de "cascade" dans la version de Constantine avec le pavé noté "A" sur la transcription - voir plus bas -]
 
Remarque: On reviendra au texte (mesuré) comme dans le manuscrit pour le premier vers (voir plus le texte dans sa version conforme à la métrique).
 
Pour le Matlaa : Ajout de trois mesures en trois étapes:
1/ Ajout d'une mesure à la fin du premier pavé pour soutenir le Mi à la façon de la version de Tlemcen (mais ici en réalisant le 4/4). (cadre rouge- jaune; ligne 7)
2/ Ajout d'une mesure au deuxième pavé de Ebeho (qui en comptait cinq) pour compléter la structure rythmique (cadre rouge- jaune; ligne 9).
3/ Ajout d'une mesure au troisième pavé de Ebeho (qui en comptait cinq) pour compléter la structure rythmique à douze temps et pour retrouver et confirmer la signature (ici mode proche).
 
Remarque: Comme pour le Ghessen revient au texte d'origine et on conserve la Tlaliya !
 
Au total, il a fallu ajouter cinq (05) mesures pour retrouver un équilibrage pour ce Meçaddar. Trois d'entre-elles sont quasi évidentes à trouver.
 
On peut aussi penser une intervention plus "intrusive" en remodelant la fin du premier pavé pour faire apparaitre une signature Sika; peut-être un peu trop "marquée".

 

9. La Version de Constantine

 
Pour terminer cette étude on va examiner la version de Constantine qui n'a rien de commun avec les autres versions.
A Constantine le Meçaddar est accompagné par un rythme à 16 temps assez strict mais on verra que les pièces du répertoire de Constantine souffrent aussi de "déséquilibre" des constructions mélodiques.
 
La version que nous présentons est signée Abdelmoumène Bentobbal (1928 - 2004); un grand artiste qui incarnait à lui tout seul une "autre" école du Malouf Constantinois.
 
Sur la transcription on remarquera la difficulté de la pièce (chant) qui ne commence pas au début de la séquence rythmique (qui se décompose en 3+3+2+8 temps). Pour s'en sortir (lecture de la transcription), il faut ignorer la percussion et se concentrer uniquement sur les deux temps: d'où l'idée de transcrire les Meçaddar constantinois (ou les Meçaddar de Tlemcen) avec des mesures simplifiées. Pour Constantine nous avons choisit le deux temps (2/8).
 
On remarquera l'usage d'une "amorce" pour le chant comme cela se faisait (d'après les anciens enregistrements et les transcriptions de Christianowitsch) à Alger. Cette amorce fait partie de la réplique qui précède le chant.
 

 

Bentobbal :"Layâli Surûr" => :

Autrement : Bentobbal.mp3

 
Le Matlaa reprend essentiellement le ghessen, avec juste une petite "envolée".
 

  Petite Analyse

 
La pièce de Constantine semble équilibrée car les mesures sont respectées. Mais à quel prix ?
1- On voit de suite que le "motif" central (noté A en bleu) ne se positionne pas correctement la deuxième fois qu'il apparaît dans le chant: Il est décalé, anticipation de 4 temps !?
2- La note "Si" (en jaune) semble additive; elle ne serait là que pour "rattraper" un pavé qui serait trop "court" sinon.
3- Le texte n'est pas dit en fonction de sa métrique. En effet, la dernière syllabe Surlongue "ân" (de Zamân) a été résolue en deux syllabes longues en : "â" + "Ni" (Zamânî) . Cette technique (utilisée dans certaines pièces aussi bien à Alger, qu'à Tlemcen ou Constantine) n'a été rendue possible, dans ce morceau, que grâce au décalage du motif "A". Un "bon" repositionnement du motif ne permettra plus cette résolution en deux syllabes.
 

Proposition

 
La proposition est simple :
1- Repositionner le pavé A en début de séquence rythmique.
2- Assurer la symétrie de la construction en retrouvant le pavé B qui annoncerait le pavé A
3- La Note "Si" à la fin de la pièce disparaîtra d'elle-même: elle était pourtant si belle et faisait tout le charme de cette pièce (que nous apprécions beaucoup!)
4- Il faut revenir à la métrique et au texte d'origine.
5- L'amorçage du chant subsiste mais se réduit à une croche (un temps au lieu de deux)
 

 

 
Remarque: Pour cette pièce - et si on se base sur la percussion qui accompagne Bentobbal- notre proposition aura recours à un découpage des paroles qui ne place les syllabes que dans la partie "8" du rythme à 16 temps et seule une syllabe occupera le premier temps de la partie "3+3+2" de la mesure.
Dans ce Meçaddar on ne retrouve pas vraiment de partie à 3/8 : La séquence rythmique d'accompagnement à Constantine n'est donc pas "redondante"; elle évolue sur une autre ligne et participe à une sorte "d'harmonie rythmique" (Voir biblio : Salvador-Daniel).
 

  Conclusion

 
La conclusion est toute simple et se résumera à une question: Le patrimoine mérite t-il oui ou non qu'on le revisite? Doit-on l'accepter avec ses "contradictions" en laissant toutes les questions que soulève la musique en suspens ?
Notre démarche est celle d'explorer, de tenter de comprendre et de proposer... et - à coup sûr - de nous tromper. Qu'à cela ne tienne; on aura tout de même essayé.
Les enregistrements anciens nous sont d'une aide appréciable dans cette démarche car ils n'ont pas subi une trop grande intervention de la part des Maalem et autres musiciens (qui on peut supposer étaient plus ancrés dans la tradition).
On regrette seulement que ce soit des institutions étrangères (BN de France, ...) qui publient des archives sonores qui concernent le répertoire algérien et pas un organisme national.

Y.T

Octobre 2013

Le sonore de Bensaïd ( BN de France disponible sur le Net); Le sonore Bensari (Collection Rifel KALFAT); le Sonore Serri (Collection des CD anthologie de la musique par le professeur Serri); le sonore Bentobbal (Coffrets Malouf édité par l'ONDA). Manuscrit (collection Hinni). Diwan Yafil (fonds Cheikh Bouali)

 

 

Révision: 2020

 
Retour sur le Meçaddar Maya « Layâlî al Surûr »
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Nous avons déjà abordé cette pièce en 2013 sur le site Yafil (voir lien) Ce Meçaddar est un morceau « non mesuré », « non pavé » dans toutes les versions connues (Alger, Tlemcen et Oran – Maalem Ebeho Bensaïd-)… et même dans sa version Malouf.
L’examen de la pièce et le recoupement des versions nous avait permis d’entrevoir une « proposition » en mesures à 12 temps pour retrouver un semblant d’équilibre dans la construction mélodique. Cependant, la « symétrie » et la corrélation Poésie / Musique plaideront pour un pavage plus étendu en 24 temps… Ce que ne réalisait pas notre proposition de 2013.
Si le Matlaa se tenait (dans la longueur mais vraiment dans la forme) avec trois pavés à 24 temps (72 temps) ; le Ghessen apparaissait « écourté » (en 60 temps ; soit 5 mesures à 12 temps au lieu des 6). Il fallait donc reconsidérer la question en introduisant de « nouveaux » éléments ; chose que nous allons entreprendre après sept ans de « dormance » et de « décantation ». Il faut laisser les morceaux « dormir » mais l’esprit doit rester en alerte.
Affinités dans la Nouba Maya
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Ce morceau, Meçaddar, (layalî Surur) partage son premier pavé avec deux autres morceaux de la Nouba Maya (de Tlemcen). Ces deux morceaux (consignés à Alger) ne sont pas joués à Alger actuellement. Ces deux morceaux sont (Daw al çubhu Lâh) et (Al Faradj Qarib). Ils se chantent sur la même mélodie (et ne diffèrent l’un de l’autre que dans le traitement du Matlaa / Refrain (suivant les interprétations des cheikhs Redouane et Brixi ) :
Les métriques présentes dans ces trois morceaux sont identiques :
Layali Surur : Métrique [A(5) – B(5)] (pour les deux hémistiches à cinq syllabes des vers ; les formes métriques A et B ne sont pas marquées de la même façon –position des brèves-)
Al Faradj Qarib : Métrique [A(5)-B(6)]-A(5) (pour les trois hémistiches des vers)
Daw al çubh Lah: Métrique [A(5)-B(5)]-A(6) (pour les trois hémistiches des vers)
Les versions de Tlemcen de ces deux Meçaddar (chantées par cheikh Brixi et cheikh Redouane) sont « faussées » dans la mesure où elles ne présentent pas de pavages réguliers, ni un découpage conforme à ce qui se fait pour les métriques en présence, ni de réalisation du cycle des 16, 12 et même 8 temps. Les versions « actuelles » (revisitées) vont essayer de « rattraper » le principal défaut, à savoir celui de la réalisation du cycle (supposé ici à tort) des 16 temps. Alors, qu’il est manifeste que la mélodie demande un 12 temps ?! Or, ces deux Meçaddar (pour une seule mélodie – Qiyas ou contre-facture-) contiennent assez d’éléments structuraux pour nous guider dans la réflexion.
Proposition :
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Le Meçaddar « Layali al surur » restera « en relation » avec le Meçaddar plus « complet » (Daw al çubh Lah) ou de (Al Faradj Qarib) dans la construction, dans le partage de certains pavés, dans la progression des stations secondaires (finales des pavés). « Layali al surur » serait une sorte de version simplifiée, peut-être un peu maladroite dans la mesure où la « tlaliya » - qui signerait la présence d’un troisième hémistiche (fantôme)- ne sera conservée – pratiquement intégralement – qu’au refrain (Matlaa) alors qu’elle sera tronquée au couplet –ghessen -.
Deux pistes seraient alors possibles pour avoir (retrouver) un morceau équilibré:
- Une version « longue » en TROIS pavés de 24 temps (Ghessen et Matlaa) ; deux pavés pour les deux hémistiches et un pavé dédié à une vocalise (pavé qui signerait un hémistiche « fantôme » dans un schéma de construction qui n’est pas inconnu dans le répertoire çanaa).
- Une version « courte » en DEUX pavés de 24 temps (Ghessen et Matlaa) ; un pour chaque hémistiche (donc sans la tlaliya, vocalise).
Cette option s’obtient en écourtant la version « longue » (et la version actuelle) aux endroits indiqués sur la transcription. Le résultat pourrait servir de Derdj (puisque cette structure de pavage simplifié se retrouve aussi en Derdj).
Il existerait une troisième option (proche de notre proposition de 2013), à savoir, garder les trois pavés pour le Matlaa (deux pour le texte et un pour la vocalise, comme dans le Matlaa actuel des versions Oran et Tlemcen) et écourter le couplet Ghessen en deux pavés.
Mais cette absence de symétrie posera un problème de cohérence dans le traitement de la poésie, corrélation poésie / Musique. Aussi, elle serait à écarter… définitivement !
On laissera les musiciens réfléchir à la question et pousser la discussion.
Divertissement et complément à la première étude
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Voici en prime :
1- Une version revisité du Meçaddar « al faradj aan qarib » en pavage 24 temps. (Avec une idée de reprise en 3 + 3 pavés – où seul le deuxième hémistiche texte sera repris, les deux autres remplacés par des vocalises-). (On réservera le Matlaa – assez délicat - pour une prochaine fois.)
2- Une version « longue » du Meçaddar « Layali Surur » (avec le texte de la deuxième strophe « bitna fi hana ana wa hibbi »).
On exploitera la signature « Maya » du pavage à 12 temps (voir enregistrements anciens Yamna et comment les « modernes » ont coupé cette signature)
Note Historique
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Dans son « esquisse de la musique arabe » Christianowitsch nous rappelle un fait (technique) que les musiciens doivent savoir (ou pas) :
« Le Meçaddar est la pièce la plus importante de la Nouba, sa mélodie (l’exposition de ses pavés) sert à construire d’autres morceaux ». On pourrait ajouter que les pavés contenus dans les Meçaddar « imposants » se retrouvent d’autres morceaux et donc pourraient servir à élaborer (composer) d’autres morceaux (peut-être moins imposants).
C’est ce que nous avons essayé d’esquisser avec ces divertissements…
A écouter, à critiquer, à méditer.
Y.T. 06 juin 2020

 

 

 

 

 

 
 
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