LES MAÎTRES DE TLEMCEN.

 

Les Repères.

Les frères Mohammed et Ghouti DIB.

Cheikh Larbi Bensari.

Cheikh Omar Bekhchi.

Cheikh Redouane Bensari.

Autres Maîtres et Musiciens.

 

 

  • LES REPERES.

 Tlemcen a vu se succéder toutes les dynasties d'Afrique du Nord (Idrissides, Sanhadja et Fatimides, Almoravides puis Almohades). Elle fut la capitale du puissant royaume des Zianides du 13ème au 16ème siècle. Elle a toujours été, de par sa situation géographique au carrefour des principales routes commerciales du Maghreb, un centre de culture et de civilisation.

 

Rattachée à la régence d'Alger en 1555 (domination turque), elle tombera sous la domination française en 1842…

 

Malgré toutes ces péripéties de l'Histoire et à l'instar des nombreuses villes d'Algérie, Tlemcen saura préserver de l'érosion du temps les richesses de sa civilisation.

 

* * *

Parmi ces trésors culturels jalousement préservés:

- la poésie mystique avec Abou Mâdienne Chou'aïb Ben El Ançari (dit Sidi Boumedienne);

Né à Séville et décédé à Tlemcen vers 1198. Ce savant, dont l'influence s'étend sur toute l'Afrique du Nord, nous laisse une importante production poétique. De type Qacida classique ou de type Mouwwashah, ces poèmes sont des joyaux de la poésie Soufi. Son Mausolée à Tlemcen reste, à ce jour, un des pôles des activités culturelle, sociale et religieuse de la ville.

- la poésie populaire avec les Cheikh Ahmed Ibn Triki dit Ben Zegli (décédé au début du 18ème siècle), Cheikh El Hadj Mohammed Ibn Messaïeb (Décédé en 1766, il reste, avec ses quelques deux mille poèmes, un des plus célèbres poètes populaires du Maghreb.) et Boumédienne Ibn Sahla (qui vécut la fin de la présence turque en Algérie au début du 19ème siècle);

- la musique traditionnelle et ses genres apparentés.

 

* * *

Dans la musique traditionnelle de Tlemcen, la pratique de la Nouba est désignée par "Gharnata" ou "Gharnati". Mais il faut savoir que Çan'a et Gharnati utilisent les mêmes modes mélodiques, pratiquement les mêmes rythmes, les mêmes poésies et les mêmes techniques de découpage métrique (mis à part certaines incohérences présentes dans les deux styles).

Les anciens enregistrements (d'avant 1945) nous montrent l'infime différence qui existe entre les deux styles d'interprétation. Mais après cette date, nous assisterons à un clivage de plus en plus net entre les deux styles qui s'éloigneront (il faudra en convenir) de "l'esthétique" du début 20ème siècle.

 

L'analyse musicale des deux répertoires nous montrera peut-être que les appellations "Gharnati" et "Çan'a" ne désignent en fait qu'une seule est même musique… Voir notre page "Aspects Techniques".

 

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  • LES FRERES MOHAMMED ET GHOUTI DIB.

Parmi les musiciens qui se sont distingués à Tlemcen nous pouvons citer les deux frères DIB: Mohammed (né en 1852) et Ghouti (né en 1854).

Ces deux frères sont considérés comme les continuateurs des Maîtres El Hadj Hammadi Baghdadli (1797-1867) et son disciple le Cheikh Moulay Manouar Benattou (décédé vers 1875).

 

Un des fils de Ghouti (Sidi Mohammed) est le père du célèbre écrivain Mohammed Dib…

 

Une fois initiés à la pratique des instruments de musique dans le milieu familial, ils seront pris en main avec d'autres élèves de leur âge [ Moulay Djilali Ziani (1850-1933) et Mohammmed Benchaabane dit Boudelfa (1853-1914 ) ] par le Cheikh Moulay Manouar Benattou. Tous ces élèves vont bénéficier de l'expérience de musiciens distingués comme Mohammed Lazouni (1819-1895); Brixi; Triki; les juifs Ichoua et Medioni dit Maqchiche (1818-1899).

 

 

Les années qui vont de 1860 à 1880 seront une période difficile pour les algériens : début de la colonisation, soulèvements populaires férocement réprimés, persécution des juifs, etc.

La résistance allait s'organiser dans les Zaouias (confréries religieuses), dans les mosquées, dans les places publiques…

Le Medh (chant religieux) sera alors un des moyens de l'affirmation de la personnalité musulmane: "une arme de combat" très utilisée par les orchestres, les musiciens et les conteurs itinérants (Ghouals)… Les deux frères Dib vont y exceller comme beaucoup de maîtres après eux.

 

 

En 1884, avec le calme retrouvé (tout précaire), Dib Mohammed constitue son propre orchestre.

Dans cet orchestre il y avait son frère Ghouti, Mohammed Lazzouni, AbdelKader Bekhchi (1860-1918), Moulay Djilali Ziani (1852-1933) et le jeune AbdelKader Kermouni Serradj (1866-1946).

Vers 1905, l'orchestre intègre de nouveaux musiciens: Mohammed Kaïd Slimane dit Bekhalti (1892-1935), les trois frères Bekhchi Benaouda (1880-1924), Hassan (1882-1935) et Omar (1884-1958).

Les trois monuments de la musique de Tlemcen que sont Mohammed Benchaabane (1853-1914) dit Boudelfa; les juifs Ichoua et Medioni dit Maqchiche (décédé en 1899) venaient renforcer cette formation. Des maîtres qui seront, avec les frères Dib, les initiateurs du cheikh Larbi Bensari.

 

De 1885 à 1903 de nombreux orchestres vont ainsi se constituer (même pour un soir) pour animer des fêtes familiales ou des soirées dans les cafés maures.

Le Cheikh Benchaabane Alias Boudelfa introduira dès 1885 le jeune Larbi Bensari âgé alors de 15 ans dans l'orchestre des Dib.

 

Très sollicités, la renommée des Dib s'étendra à plusieurs villes d'Algérie ( Oran, Alger, Sidi BelAbbes, Mostaghanem, Blida…) et du Maroc ( Oujda, Fez, Rabat…).

 

Orchestre des frères DIB (vers 1906).

 De gauche à Droite: Hassane Bekhchi (à la Derbouka); Cheikh Ghouti Dib (à la Kwitra); Cheikh Mohammed Dib (au Rebeb) ; AbdelKader Bekhchi (Târ) et enfin Cheikh Omar Bekhchi (à la Kwitra).

 

 

 

Avec les troubles que connaît Tlemcen en 1910, certaines familles seront contraintes à l'exil ( Ghouti s'expatrie en Syrie). Mohammed arrêtera la musique et les représentations et ne les reprendra qu'en 1912 sous l'insistance de ses amis.

 

C'est à cette époque qu'apparaît sur la scène artistique Tetma Thabet (1891-1962) dite Cheikha Tetma qui portera très haut la pratique du chant féminin.

 

 

En 1914, avec la disparition de sa seconde femme, Mohammed (qui se retrouve veuf pour la seconde fois) abandonnera définitivement la musique. Il confie la direction de l'orchestre à son frère Ghouti, de retour au pays dans la même année.

 

Mohammed décèdera le 26 septembre 1915 et son frère Ghouti deux ans plus tard, le 05 septembre 1917. Ils reposent tous deux au cimetière de Sidi Es Senouci à Tlemcen.

 

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  • CHEIKH LARBI BENSARI (1870-1964).

 

Né en 1870 à Tlemcen, Sari Hadj Larbi dit Larbi Bensari, remarqué par le Cheikh Benchaabane alias Boudelfa, rejoindra l'orchestre des Dib en 1885.

Elève doué, il ira parfaire sa formation musicale et affiner sa pratique instrumentale au Rebeb et au Qanoun - cithare - avec les frères DIB et avec les nombreux maîtres de son époque.

Vers 1900, il réunira sa propre troupe. Ce sera le départ de sa longue carrière comme Cheikh (chef de formation).

Sollicité, il donnera des représentations à travers tout le pays, au Maroc, en Tunisie et en France métropolitaine.

Cette maîtrise lui vaudra de nombreuses distinctions.

 

Orchestre Larbi Bensari vers 1926.

De gauche à Droite : Cheikh Omar Bekhchi (au Luth), Abdellah Benmansour alias "Bouloulou" (à la Derbouka), Cheikh Larbi Bensari (au Qanoun), le jeune Ahmed Sari alias Cheikh "Redouane" (à la mandoline), flûtiste (?) , Kwitra (?) et Benaouda Bekhchi (au Târ).

 

En 1932, il sera désigné pour représenter la musique Algérienne au premier congrès de musique arabe du Caire en Egypte. Il était accompagné de ses frères Hadj M'hamed Sari et Hadj Abdeslam Sari (1876-1959), son fils Ahmed Sari dit Redouane (Né en 1914), son fils Mahmoud Sari, Omar Bekhchi (1884-1958) , Kaïd Slimane Mohammed dit Bakhalti (1892-1955), Abdellah Benmansour dit Bouloulou (1900-1955).

 

Cheikh Larbi Bensari a laissé de nombreux enregistrements (disques, émissions de télévision, bandes magnétiques) dans les différents genres de la musique Gharnati et Çan'a (Medh, Hawzi, 'Aroubi, etc.). L'influence qu'il a eu sur la musique de Tlemcen (et sur celles de toutes les régions qui pratiquent des genres apparentés) ne pourra jamais être évaluée.

 

Il décède le 24 décembre 1964 à Tlemcen.

 

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  • OMAR BEKHCHI (1884-1958).

Né à Tlemcen en 1884, Omar Bekhchi appartenait à une famille qui comptait de nombreux musiciens.

Vers 1904, il rejoint la troupe des frères Dib qui seront ses premiers professeurs.

Par la suite, il rejoindra l'orchestre du Cheikh Larbi Bensari et sera un des membres influents de sa troupe.

Instrumentiste confirmé, héritier des frères Dib (répertoire, manuscrits, instruments,…), Omar Bekhchi était un des maîtres incontournables de la tradition musicale de la ville de Tlemcen.

 

En 1932, il accompagne le Cheikh Larbi Bensari au premier congrès de musique arabe tenu au Caire (Egypte).

Détenteur d'un riche répertoire acquis grâce à la fréquentation des plus grands maîtres de Tlemcen et d'Alger, Omar Bekhchi formera lui-même de nombreux musiciens et interprètes.

Parmi ceux qui auront bénéficié de ses enseignements nous pouvons citer: El Hadj AbdelKrim Dali, Cheikha Tetma, Cheikh Mohammed Bouali, El Hadj Mustapha Brixi, Mohammed Benguerfi…

Il décède en 1958 à Tlemcen.

A gauche Cheikh Kermouni Serradj Abdelkader (1866-1946) et, au Rebeb, Cheikh Omar Bekhchi.

 

 

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  • Cheikh Ahmed Sari dit "Redouane" BENSARI.

 Fils du Cheikh Larbi Bensari, Cheikh Redouane, de son vrai nom Ahmed Sari., est né le 08 avril 1914 à Tlemcen.

Très jeune, il intègre l'orchestre de son père Cheikh Larbi. Instrumentiste virtuose (luth, mandoline, Rebeb), interprète doué d'une voix très expressive, il enregistre, dès quatorze ans, son premier disque. En 1932, à l'âge de dix-huit ans, il participera au premier congrès de musique arabe du Caire en Egypte.

 

 Dans les années 1940 et 1950 il va multiplier les représentations et sa renommée s'étendra à toutes les grandes villes d'Algérie et du Maroc.

 

La période difficile que traversera l'Algérie (guerre de libération Nationale 1954/1962) va affecter sa vie d'artiste ce qui l'obligera à s'installer … définitivement au Maroc. (Il y demeure depuis 1958).

 

Détenteur d'un patrimoine impressionnant (Gharnati, Çan'a, Hawzi, 'Aroubi, Sharqî,…), de nombreux musiciens le sollicitent continuellement pour des conseils sur la pratique musicale ou carrément pour prendre connaissance de certains morceaux très peu connus du répertoire.

Toutes ces visites ont donné lieu à des enregistrements privés. Des enregistrements (à capela, ou seulement accompagné de son luth) qui viennent s'ajouter au patrimoine personnel de Cheikh Redouane.

 

Actuellement, une équipe de chercheurs, de techniciens, de musiciens et de responsables locaux de la ville de Tlemcen entreprend d'enregistrer le répertoire Gharnati en exploitant ces "inédits" du Cheikh Redouane.

 

Artiste accompli, il reste, sans conteste, le plus grand musicien d'Algérie (compte tenu de sa polyvalence et de sa virtuosité): une véritable légende vivante.

Une visite à Tlemcen, en déambulant au hasard des grandes artères ou des souks, nous renseignera sur l'amour et la grande estime que lui porte la population depuis plus de cinquante ans: Il n'y a pas un seul commerce qui ne possède un des enregistrements de Cheikh Redouane et qui ne le diffuse au moins une fois par jour…

 

A Tlemcen on se nourrit aussi de la musique de Cheikh Redouane.

 

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  • AUTRES MAITRES, MUSICIENS ET MELOMANES.

Les frères Dib (et leurs élèves), Cheikh Larbi Bensari (et son orchestre), tous ces musiciens que nous avons présentés ci-dessus ont fait la légende de la musique Gharnati au début du vingtième siècle.

Avec l'avènement des associations de musique et de la Radio d'autres musiciens vont se distinguer. Nous ne pourrons pas tous les citer, mais parmi eux il y avait:

Mustapha Aboura (1875-1935), professeur de musique connu pour avoir fait une expérience de notation musicale du Gharnati;

Kheireddine Aboura (1908-1977), fils de Mustapha, professeur de l'association Gharnata de Tlemcen, membre de l'association SLAM dès 1934, responsable à la Radio régionale de Tlemcen depuis 1948, interprètes de quelques enregistrements dans les années 1950; …

 Mohammed Bouali, le professeur mythique de la société musicale SLAM;

Mustapha Belkhodja, membre influent du mouvement association de l'ouest algérien qui a fait ses classes à Alger avec le maître Mahieddine Lakehal dans les années 1930; …

Plus près de nous, le Doyen Mustapha Brixi (Né en 1919), El Ghoul Yahia, Boukli Hassene Salah, …

 

 

 

Si Ghouti Bouali (1874-1934).

Auteur du livre "Kashf Al Qina'a" édité en 1904.

Cheikh Mohammed Bouali (1917-1998).

Professeur mythique de l'association phare de la ville de Tlemcen; la SLAM de 67 à 86. Une association qui polarisa toute l'activité musicale de la ville durant plusieurs décennies.

Mustapha Belkhodja (1917-1968).

Professeur de musique à Tlemcen et à Sidi Bel Abbes. Joueur de Rebeb qui a laissé un souvenir impérissable au premier festival de musique classique à Alger en 1967.

 

 

Il ne faudra pas oublier de citer ces nombreux musiciens juifs qui ont acquis une grande popularité à Tlemcen:  Liahou Benyoucef (1811-1856), Liahou El Ankri; Mouchi Chloumou (1853-1898); Makhlouf Rouche dit Bettaïna (1858-1931), Braham Edderai (1879-1964) et bien d'autres encore.

 

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