Mise à jour : 21 Octobre 2013

 

Gherbi

" Ma_ y Shâli Fi_n Hâr_Al Harb "

Version: Maalma Yamna

 

1. Le Texte et sa Métrique

 
Le texte de cette Qacida connu aussi sous le titre de "Bou Salef Meriem" a été chanté par plusieurs grands interprètes de la musique algérienne: Maalma Yamna dans les années 1920 (dans le style Gherbi apparenté à la Nouba); Cheikh Hamada (dans le style Oranais); El Hadj M'hamed El Anka (Chaabi) et la version remarquable de Amar El Zahi (Chaabi). [Versions mises en ligne sur You Tube]
 
Si on examine les différentes interprétations de cette Qacida on se rendra compte des difficultés que contient ce texte: mots compliqués, diction pas toujours claire, plusieurs variantes suivant les interprètes, ordre différent donné aux vers successifs, etc.
 
Nous avons donc fait - à notre niveau - une sorte de "synthèse" pour ne retenir que les vers qui apparaissent dans une forme qui respecte la métrique Melhoun de cette Qacida.
 
Le mètre utilisé pour cette Qacida est connu comme étant le "Mashriqî Al Tâm" (forme accomplie du mètre Al Mashriqî.).
L'appellation "Al Mashriqi" (littéralement : qui vient de l'Est ) viendrait du fait que cette forme métrique du Melhoun était très répandue en Algérie (en particulier chez les poètes de Tlemcen et sa région).
 
La Qacida utilise des vers à deux hémistiches :
1- Les premiers hémistiches sont à 13 syllabes avec des SurLongues aux positions 1, 7 et 8 dans l'hémistiche.
2- Les seconds hémistiches sont à 12 syllabes avec des SurLongues aux positions 1 et 7 dans l'hémistiche.
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Parmi les versions qui circulent (ou qui sont chantées) on trouve des vers où la métrique du Mashriqî n'est pas respectée: soit du fait que les chanteurs se permettent souvent certains écarts, soit du fait des aléas de la tradition orale, etc. soit que le poète n'a pas pu ou pas su respecter la contrainte du Mashriqi (ce qui arrive souvent avec certains poètes qui - en général - oublient la surlongue en première position).
Comme on ne peut pas se baser uniquement sur cette dernière hypothèse (qui revient à accepter tous les défauts métriques ou du moins les plus courants), l'idée était de "compiler" une version qui réalise cette métrique et qui reste assez proche de la tradition.
A défaut d'une source "sure" pour cette Qacida (manuscrit ancien ou version "authentifiée") nous proposons une "esquisse" qui - on l'espère - sera revue, complétée et corrigée (vérification de certains mots compliqués, etc) pour redonner à ce texte la place qu'il mérite dans l'héritage du Melhoun. [Le texte ci-dessous est une sorte de timide proposition pour la restauration de la métrique de la Qacida]
 

PROPOSITION

 

Maalma YAMNA "Ma_y Shâlî" => :

Autrement : Yamna.mp3

Notes:
1- L'ordre que propose Yamna pour les différents vers est indiqué avec le texte (de 1 à 18). En général, les chanteurs attaquent les vers du Matlaa après chaque trois vers pour se conformer à la pratique en usage dans la Nouba. Yamna reprend quelques vers quand elle estime qu'elle avait râté sa déclamation: les enregistrements se faisaient en une seule prise ! (On retrouve aussi ce phénomène dans l'enregistrement réalisé par Cheikh Hamada).
2- Les paroles chantées par Yamna ne sont pas exactement comme celles de notre proposition !
 

2. "Essai" de Traduction littérale

 
Le texte est assez clair dans l'ensemble mais il y a des mots qui restent assez compliqués (même pour quelqu'un qui a un bon niveau en arabe classique et en arabe populaire; ce qui est loin d'être notre cas). Le retour aux dictionnaires connus est impératif (Lissân Al Arab de Ibn Mandhûr - arabe / arabe -; Kasimirsky - arabe - français - un dictionnaire qui reprend le Lissân Al Arab complété par des mots en arabe populaire ou en berbère - ; Bensedira - arabe / français -; etc.) Mais il reste une classe de mots qui appartiennent à l'univers du Melhoun que nous avons encore du mal à expliquer... On compte sur une contribution plus large.
 
(l'ordre des vers comme ils apparaissent sur l'enregistrement de Yamna - de 1 à 18 - est donné avec l'essai de traduction.)
 

Couplet I

 
1a - Ne brandit haut sa lance (et engage le combat), le jour de la confrontation (guerre), que celui qui est bien accroché sur sa monture;

1b - Monté sur un pur-sang (qui descendrait - ? - de Shawla ; célèbre cheval d’un poète guerrier de l’Arabie antéislamique ; Zayd ibn Huçayn alias Zayd Al Fawares), de la noble race des chevaux du Sahara. (Yamna et en Algérie après-elle on chante "Shalwi" avec inversion des syllabes. Ce mot pouvant vouloir dire : "rapide à la course".)

2a - Ne crie (ne pleure) malgré lui (de la douleur causée par les vicissitudes de sa passion) ; une partie de sa chair se blesse et saigne ["Yatkal'lam" = vient de "Kilm, Kilâme (pluriel)" = blessure, plaie, meurtrissure; on pourrait confondre avec "Yatkal'lam" = vient de "Kalima, Kalimâte (pluriel) = parole, mot; du verbe "parler"];
2b - Que celui que dont le feu de la séparation a allumé une braise dans son cœur.
3a - Ou alors un chanteur qui s’accompagne au Luth, un insoumis, et qui joue (habilement) avec ses doigts sur les cordes (de son instrument);
3b - Ou quelqu’un d’exalté, ivre d’avoir (vidé) des coupes de vin.
5a - Ou quelqu’un d’inspiré (par l’effet de la boisson), doué d’une grande intelligence (littéralement : dont les ruches sont pleines) qui improvise des vers (qui sortent de sa tête);
5b - Quelqu’un excité par les filles (chanteuses ?) sur les tapis du lieu de réunion.
6a - C’est ainsi que je suis : il me suffit de voir les belles, pour me mettre dans tous mes états et pour voir les choses en grand;
6b - Avec bougies, et l'échanson qui met de l’entrain et se presse (de remplir les coupes) de vin aux reflets d’or.
 

Refrain

4a - Ne m’a séduit et a captivé mon esprit que celle aux belles boucles (qui tombent derrière l’oreille le long du cou), la prénommée Meriem;
4b - Ma belle (ici comparée à un faucon femelle) dont la beauté surpasse tous les astres lumineux (du ciel nocture), comme la lune (le croissant) en sa dixième nuit (ou jour du mois lunaire).
 

Couplet II

 
7a - Ne désunit le cercle d’amis (des jeunes) amoureux que les jeunes filles;
7b - Comme elle qui est venue perturber mon esprit, avec sa beauté (comparable) à l’éclat de Vénus (la planète) .
9a - Ma quiétude, je ne la trouve plus ; je suis las (de devoir) taire mon secret;
9b - La cause de mon trépas, c’est le jour où j’ai croisé les grands yeux de la pucelle.
10a / 11a - Elle est venue comme viendrait un roi, parmi ses armées, fin prêt (au combat);
10b / 11b - Avec à sa suite des pachas, des commandants (caïd = chef militaire) et des vizirs.
Après lui avoir adressé la parole j’ai eu peur de l’importuner (de la contrarier) ;
(Peur) De lui avoir tenu un discours médiocre (pas à la hauteur) et m’être (ainsi) avili.
12a - Quand elle a (enfin daigné) me regarder je suis resté comme accablé à retourner mes pensées;
12b - (Je n’entendais plus) Que le bruit des bracelets de chevilles et des bracelets d’argent (aux poignets) qui s’entrechoquaient.
15a - Je ne suis qu’un étranger (à qui on doit l’hospitalité, littéralement : invité de Dieu) Ô toi aux longues boucles à la couleur noir de jais;
15b - Retire-donc ta voilette que je puisse te voir de mes yeux et que je guérisse.
Crains Dieu ! Pourquoi sors-tu ainsi avec tes (longs) cils qui pourfendent (tout le monde)
Quiconque a été surpris (par ton regard) tombe sous le charme et jamais ne (risque) de guérir.
 

Refrain

8 / 13
 

Couplet III

 
C’est quoi qui apparaît sur tes joues et qui est comme une rose épanouie;
Ou alors ce n’est qu’une fleur de grenadier que tu as déposée sur ta joue pour qu'on la voit.
14a - Réponds-moi, ce sera mon cadeau, qu’as-tu (ainsi) à faire la fière, à ne pas parler ;
14b - (N'est-il pas vrai) Que tu m’as croisé, et que tu ne m’as pas ignoré du regard, (et cela) à maintes fois ?
16a / 17a - (Mais on sait) Et c’est de droit coutumier : Quand la beauté s’égare et fait la fière elle rend la justice au nom de la vanité et du mensonge;
16b / 17b - Et après (avoir rendu) sa sentence (de devoir subir) l’arrogance, elle rajoute (accable) avec la séparation (et l’abandon).
C’est alors que m’a répondu la perle de la splendeur. Elle m’a dit : « Tu n’es qu’un ignorant »;
Et les ignorants comme toi n’ont pas le droit à la parole chez nous (dans notre pays).
Va, poursuis-ton chemin, ou alors tu regretteras tes propos;
De quel droit tu importunes les jeunes filles (de bonne famille) si ce n’est pas du mépris (de ta part);
 

Refrain

18
 

Couplet IV

 
Tu ignores nos lois (nos usages) et tu ne fais que fanfaronner ;
Celui qui (se conduit) comme un sot (avec sottise) finit par atterrir entre les mains du boucher (et se faire étriper) .
(Je te rappelle) Que je suis sous la protection de ma tribu, de mes serviteurs et de ma famille (mes cousins);
Chaque membre (fort et capable) parmi eux peut affronter dix des comme toi.
Répons-moi si tu es un habitant de cette ville et que tu y cultives des attaches ;
Ou alors, si tu n’es qu’un étudiant étranger, retourne à ton université (grande mosquée) poursuivre tes cours.
Je lui ai dit « je ne sais où aller dans votre ville ;
Si ce n’était mon voeu de te rencontrer Ô toi aux nattes noires ! ».
Pourquoi n’as-tu donc pas fait attention à moi (à mon état). Je suis (là) à me blâmer depuis un bon moment déjà;
(Dis-moi) Que dois-je faire ? Et qu’a-t-on l’habitude de faire (chez vous) dans mon cas ? Je suis désemparé (littéralement : je n’ai aucun pouvoir entre les mains).
 

Refrain

 

Couplet V

 
Ma gazelle a dit, celle dont je suis amoureux, la belle au joli nom :
« Admire  Ô toi l’amoureux et réjouis-toi de (mes)  charmes (juste) par le regard ».
Que connait (de la vie) (littéralement: qu'a vu ) celui qui ne s’est pas diverti pas avec toi au milieu d’un jardin luxuriant,
Avec ses ruisseaux (d’irrigation) qui répandent leurs eaux (à travers) les vertes branches.
Elle m’a dit : « Ce que je veux est voulu par Dieu, (je veux ) une générosité  de ta part et qui t’honorera ;  
Ne divulgue pas mon secret laisse-le caché ».
J’ai dit : « Ô ma chance ! Qu’en ce jour elle vienne me rendre visite chez moi ;
Tout ce qu’on me demandera (comme tribut), je le donnerai pour la réalisation de cette bonne nouvelle (projet).
Retiens de moi ce que je te raconte Ô toi le conteur (qui rapportera mon poème) ; je te l’ai offert comme autant de pierres précieuses (rubis – rouge -, saphir –bleu-, topaze –jaune-, ...) montées en collier ;
Impose-toi avec et déclame-le devant les plus grands poètes (du genre Melhoun).
Prends cette mélodie dans le mode Maya (un des modes du Melhoun associé au Bayati oriental) et sur un rythme « Gbâhi » de l’œuvre d’un maitre-poète ;
Ne peut concevoir un poème (et rivaliser de créativité comme lui) -dans pareille prosodie- que le grand El Masmoudi (poète Melhoun auteur de la célèbre Qacida « Qûlû al Yamna Tahli lal Athmâni »).
Ne te préoccupe pas du peuple des ingrats (avares d’éloges) laisse-les à leur tristesse;
Ils ne t’offriront rien même s’ils se retrouvent dans la position (de richesse) du roi Xérès.
Le salut, je le transmets aux personnes habiles (versés dans la poésie) et que celui qui est doué d’intelligence comprenne,
« Mohamed Ben Omar » a parlé (déclamé) ; avec tout le respect et la soumission (qu'il doit) à tous les grands poètes.
 
On doit encore s'assurer du sens exact de certains mots. On compte sur la contribution "des connaisseurs". Merci!
 

Refrain

 

3. Transcription de la Version "Maalma Yamna"

 
Le Ghessen dans la version de Yamna [dans un mode qui emprunte l'échelle du Zidane et dans le rythme Berouali (Khlass de la Nouba)] utilise quatre motifs (pavés notés A, B, C et D sur la transcription). Yamna n'utilise pas systématiquement les mêmes "pavés" pour chanter les différents vers. Néanmoins, elle définira une "grille d'interprétation" où elle soulignera les notes principales des pavés (les notes secondaires ne devront pas "appuyées"; juste "effeurées" dans un glissando vocal - un surf sur les syllabes-). On peut alors considérer que tous les vers resteront dans le même esprit que le premier vers (celui que nous avons essayé de transcrire).
Le Matlaa utilise de son côté, quatre autres pavés (notés E, B, F, D) ; c'est-à-dire qu'il est pratiquement construit avec les mêmes pavés que les Aghçâne (on introduit juste quelques différences comme cela se fait dans plusieurs pièces du répertoire)
La technique de chant de Yamna qui se situe entre la mélodie et la déclamation (avec les glissandi) complique sérieusement la transcription (sachant que même la gamme utilisée semble comporter des micro-intervalles). Seul l'élément rythmique imprimera une ligne conductrice qui aidera à "cadrer" la mélodie. Pour la réplique instrumentale, c'est encore plus ardu avec les "coups d'archet" qui soulignent rythme et mélodie.
 
Nous avons - en premier lieu- transcrit la pièce suivant le rythme préconisé; les barres de mesure (gras et pointillés) nous indiquent les temps forts de la mesure (la façon de d'accompagner le rythme par des battements de mains ou de pieds - pulsation -)
Ce rythme (Berouali ou Khlass) est de la classe du Niçraf dont il dérive. Il utilisera donc "deux bases temporelles" : un temps "court" et un temps "long". La mesure sera construite avec quatre temps : deux temps courts [ valeur =1] et deux temps longs [valeurs : (1 + x) et (x + 1); ces deux temps sont égaux mais n'auront pas la même "résolution"; ils ne sont que symétriques.]
 
Ce rythme qui est dit "bichrone" (Classe de rythmes présents dans le répertoire) est caractérisé par le rapport dit de bichronie (noté " x "); rapport du temps court au temps long dans le Niçraf (dont dérive le Berouali)
Plusieurs estimations de ce rapport ont été proposées pour le Niçraf. Un bon "rendu" des rythmes (Niçraf et Khlass) sera obtenu avec un rapport " x " aux environs de 2/3 = 0,666 [Groupe Yafil; notation en 16/16 ] ou de 3/4 =0,75 [Notation en 22/16]. Ces deux valeurs semblent être les limites (minimum et maximum) de la "bonne fourchette" pour ce rythme. (Voir autres articles sur le site; par exemple le dossier sur le Derdj à Constantine)
 

Rythme Beroual (avec les quatre temps de base formés de temps "longs" et de temps "courts" qui coïncident avec la percussion D-D-TT). En dessous façon simplifiée de noter le rythme (à la 6/8)

 
Une transcription qui veut rendre cette classe de rythme (bichrone) sera forcément compliquée car l'écriture standardisée n'utilise qu'un seul type de temps et le rapport de bichronie " x " ne sera pas toujours simple à traduire en fraction simple). Les musiciens préfèreront donc - en général - une notation simplifiée de ces rythmes (bichrones) à la façon d'un 6/8 avec une mention "Berouali" qui indiquera la classe du rythme.
 

Essai de transcription façon 16/16 avec " x = 2/3 = 0,66"

 

Ouvrir le midi pour avoir une idée de la réplique instrumentale (identique au chant):

Avec Explorer :

Autrement: MayShali.MID

 

Transcription "standardisée" simplifiée façon 6/8

Notes: Pour obtenir "une image" de la transcription simplifiée en 6/8 à partir de la transcription en 16/16 il suffira "d'ignorer" les croches pointées et de les "voir" comme de simples croches. (Inutile donc de donner toute la pièce en 6/8)
 
Important: Avec la notation 6/8 il faudra tenir compte de la "résolution" des deux temps longs du rythme qui seront transcrits tous les deux avec une noire.
 

Conclusion

 
L'étude de cetta Qacida n'est pas encore terminée et on regrette un peu le manque de documentation technique concernant tout ce pan du répertoire (Gherbi - Melhoun -; Arubi, Hawzi, etc.) en langue populaire, notamment "un bon dictionnaire" de langue populaire - mis à la disposition de tous les Maghrebins et gratuitement !- ...
Notre "tentative" de transcription reste assez "pauvre" comparée à la technique de Yamna. Mais l'idée principale de toute transcription est de "fixer" quelques repères. Et là on peut déjà voir la grande cohérence du découpage et du "cadrage" du rythme.
Le décryptage de la technique de jeu et de gamme utilisée demanderont plus de temps et plus de compétences. C'est en tous cas une voie de recherche à ne pas négliger.
 
Remerciements à: Waïl Labassi pour l'enregistrement de Yamna.

Y.T

 

 

 
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Contact : groupe_yafil@hotmail.com

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