LA POESIE.

 

Introduction.

Théorie du 'Arudh (la métrique classique arabe).

Formes Poétiques dans la Nouba Çan'a.

Relation Poésie/Musique.

La Poésie dans les répertoires apparentés.

Sructures et Thèmes.

* * *

 

  • INTRODUCTION.

Dans cette partie de notre présentation de la Musique Çan'a nous nous intéresserons aux textes chantés; c'est-à-dire à la poésie et à la langue qu'elle utilise.

 

Rappelons qu'il existe plusieurs répertoires, populaires et religieux, qui s'apparentent à la Çan'a et que tous ces répertoires partagent avec elle les mêmes Tubû' (ou modes mélodiques) et souvent les mêmes Mizane (ou constructions rythmiques). Mais, contrairement à la Çan'a qui utilise l'arabe classique ou une langue simplifiée proche du dialecte, les autres répertoires utiliseront soit l'arabe dialectal, soit le berbère, soit l'hébreu… Des traditions populaires qui, il n'y a pas si longtemps, s'exprimaient pleinement à Alger…

 

Pour notre part, nous n'examinerons dans ces pages que le répertoire Çan'a des Noubâtes et des genres apparentés ('Aroubi, Qacida, etc.).

 

Aborder les textes de la Çan'a suppose la possession de quelques notions sur la métrique classique arabe. On ne saurait, sans cela, envisager une réelle progression dans la compréhension de ce répertoire. Pour autant, quelques rudiments en langue arabe suffiront pour assimiler l'essentiel de cette théorie… Pas besoin d'être un arabisant pour se lancer !

* * *

Nous n'allons pas démontrer ici l'importance de la poésie dans la musique arabe. Les anciens traités de musique abondent dans ce sens. Ils nous rappellent tous que cette musique (dans sa construction mélodique) est basée sur les mêmes principes que ceux qui régissent la construction poétique. En d'autres termes, il existe une corrélation entre musique et poésie. Il s'agira donc pour le musicien d'aller vérifier ce "phénomène" dans le patrimoine musical.

 

Plus proche de nous et concernant la Çan'a, des musicologues éminents ont étudié cette question sans toutefois parvenir à des résultats quantifiables. Nous pensons à Fransisco Salvador-Daniel, un compositeur - décédé en 1871 - que nous considérons, au sein du Groupe Yafil, comme un des grands maîtres de la Çan'a. Pratiquant l'arabe et la musique Çan'a et ayant parfaitement décrit la problématique de cet art dans ses écrits, il déclarait en parlant de la musique des maures d'Algérie que, nous le citons: " le rythme mélodique est, dans le principe, assujetti au rythme poétique." (Voir Album et Bibliographie.)

 

Notre approche dans l'analyse de ce répertoire nous a conduit à rouvrir ce dossier, à examiner de près cette corrélation Poésie/Musique; une notion qui sera un des plus "solides" arguments pour cerner les nombreuses contradictions que contient ce répertoire, pour parvenir à une lecture cohérente de ses différentes composantes.

 

L'exposé des principes de la poésie classique arabe que nous présenterons plus bas va aider, nous l'espérons, le musicien néophyte à se faire sa propre idée sur la question.

 

Remarque: Nous supposerons acquises certaines notions d'arabe. Mais, à toute fin utile, nous rappelons ci-dessous, certains aspects de cette langue; c'est-à-dire les quelques rudiments pour comprendre l'analyse de la poésie.

Lien vers la Page: "Notion d'Arabe". En préparation

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  • LA THEORIE DU 'ARUDH.

 La construction de la poésie classique arabe est basée sur la répétition d'une même rime finale et sur l'équivalence rythmique de tous les vers de la Qacida (le poème). C'est ce qu'on appelle "Al Shi'r Al 'Amûdi" ou déploiement vertical de la construction poétique. La rythmique du vers qui se traduit par une disposition particulière des consonnes vocalisées et des consonnes muettes va s'exprimer dans un déploiement horizontal qu'on appelle "Al Bahr" (littéralement la mer); c'est-à-dire le mètre prosodique.

La théorie du 'Arudh (métrique) établie par le philologue arabe Al Khallil ibn Ahmad au 8ème siècle va décrire les aspects techniques de cette construction. (On rapporte que c'est sa parfaite connaissance de la musique qui a permis à Al Khallil d'établir sa théorie.)

Cette théorie commence par codifier la hiérarchie présente dans la poésie. Elle va identifier cinq niveaux dans la construction poétique. le Niveau des lettres (consonnes vocalisées et consonnes muettes); le Niveau des complexes syllabiques (les Sabab et les Watad qui sont des groupements de consonnes.); le Niveau des paradigmes (groupements d'au moins un Sabab et d'un seul Watad.); le Niveau de l'hémistiche (moitié d'un vers) et enfin le Niveau du vers entier qui donnera toute sa physionomie au poème (à la "Qacida"). (Voir plus bas le détail de ces notions.)

 

1/ Les Règles d'écriture.

Dans l'analyse de la poésie, on tiendra compte de toutes les lettres qui sont prononcées même si elles ne sont pas transcrites.

Il faudra donc faire attention aux vocalisations non transcrites de type "Tanwine" [adjonction à la fin des noms une nasale muette (la lettre "Noune")]; aux vocalisations de type "Med" [voyelles longues (en "â", "û", "î") transcrites respectivement avec les trois lettres "Alif" , "Waw" et "Ya" (Dans certains mots cette vocalisation n'est pas transcrite!!)]; à la lettre "Ha" quand elle est en position d'adjectif possessif (à la fin des mots) ou en position d'interjection (au début des adjectifs démonstratifs); à "la Chedda" [consonne dédoublée, la première muette et la seconde vocalisée, qui n'est transcrite qu'une seule fois]; etc.

Par ailleurs, on omettra du décompte des syllabes toutes les lettres qu'on ne prononce pas alors même qu'elles seraient transcrites.

C'est le cas du " Wassal" [une liaison qui s'effectue entre deux mots avec la chute de certaines lettres]; de certains "Mad" transcrits mais non prononcés; de certains démonstratifs; de certains pronoms personnels; …; de certains mots d'origine non arabe, etc.

Des cas particuliers que nous signalerons éventuellement dans les poésies que nous présenterons…

Pour le décompte des syllabes nous adopterons la notation suivante: Une consonne vocalisée (en "a" Fatha, en "u" Dhamma, en "i" Kasra) sera notée "A". Une consonne muette (Soukoun, Madh, Tanwine) sera notée "B". (On rencontre aussi la notation avec des "1" et des "0" pour "A" et "B".)

Sauf indication contraire, l'écriture adoptée pour l'analyse de la poésie sera de gauche à droite. Nous ne suivrons donc pas le sens d'écriture de la langue arabe qui va de droite à gauche.

On pourra rencontrer dans certains manuels une notation qui intéresse les syllabes: "U" pour la syllabe brève (qui est une consonne vocalisée isolée) et "__" pour la syllabe longue (une consonne vocalisée suivie d'une consonne muette). Mais cette notation a l'inconvénient d'introduire une confusion entre consonne vocalisée isolée et syllabe longue ayant subi une transformation de type relâchement. (Voir plus bas).

Nous déconseillerons son utilisation aux débutants…

 

2/ Les complexes syllabiques.

En poésie arabe classique, nous rencontrons cinq types de complexes syllabiques; deux complexes de type "Sabab" et trois complexes de type "Watad". Le Sabab sera à base de deux consonnes et le Watad sera à base de trois consonnes.

(Un complexe syllabique étant un groupement de consonnes vocalisées.)

Notons que littéralement "Sabab" veut dire corde et que "Watad" veut dire pieux. La construction poétique arabe est en quelque sorte assimilée au dressage d'une tente d'habitation (" Al Bayt " ou maison). Une opération qui utilisera un nombre déterminé de pieux (éléments constants) et de cordes (éléments extensibles et variables)… suivant le "prestige" de la demeure!

 Al Sabab Al Khaffif (Le Sabab léger) : Une consonne vocalisée suivie d'une consonne muette. Nous pouvons assimiler ce Sabab à une syllabe longue. Il sera noté: (AB) ou S.

 

 Al Sabab Al Thaqil (Le Sabab lourd) : Deux consonnes vocalisée successives. Nous pouvons assimiler ce Sabab à deux syllabes brèves. Il sera noté: (AA) ou S*.

 

Al Watad Al Majmu' (Le Watad groupé) : Deux consonnes vocalisée consécutives puis une troisième consonne muette. Nous pouvons assimiler ce Watad à deux syllabes, une brève (A) suivie d'une longue (AB). Il sera noté: (AAB) ou W.

 

 Al Watad Al Mafruq (Le Watad séparé) : Une consonne vocalisée puis une consonne muette puis une consonne vocalisée. Nous pouvons assimiler ce Watad à deux syllabes, une longue (AB) suivie d'une brève (A). Il sera noté: (ABA) ou W*.

 

Al Watad Al Mabsût (Le Watad simplifié) : Une consonne vocalisée suivie de deux consonnes muettes. Ce type de Watad ne se rencontre en poésie classique arabe qu'en fin de vers ou d'hémistiches. Son utilisation est spécifique à la poésie populaire (arabe dialectal) et nous le rencontrerons fréquemment dans la poésie Çan'a où il sera toujours confondu (dans la rythmique) avec le Sabab léger (AB). Ce Watad noté (ABB) ou W0 est aussi appelé par certains auteurs une syllabe "surlongue".

 

3/ Les Paradigmes de base de la Poésie.

Les complexes syllabiques seront groupés en entités plus grandes appelées paradigmes ("Al Tafa'il"). Ils sont à la poésie ce que la mesure rythmique est à la musique.

Les "Tafa'il" sont des mots formés à partir des trois lettres " Fa ", " ç'A " et " La ". ("Façala" est le verbe faire.)

 

 Dans la théorie de la métrique d'Al Khallil, un paradigme de base sera constitué par la combinaison d'un Watad de type (AAB) ou (ABA) et de un à deux Sabab de type (AA) ou (AB).

Pour des raisons liées à la rythmique, les combinaisons qui contiendront deux types de Sabab Thaqil (AA) dans le même paradigme; celles qui contiendront le Watad séparé (ABA) combiné avec un Sabab lourd (AA) et, en général, celles où apparaîtra la "Façila Kubra" (ou grande séparation) qui est une succession de quatre consonnes brèves seront rejetées et ne pourront pas être assimilées à des paradigmes de base. La théorie de Al Khallil ne va retenir que dix paradigmes, quatre formes dites primaires [Uçûl] (celles où le Watad est en début de paradigme) et six formes dérivées des premières par permutations circulaires [Furûç] (celles où les Sabab sont placés en début de paradigme).

L'absence de certaines formes théoriques dans le corpus de la poésie classique arabe est expliqué en faisant appel à des notions plus poussées que nous ne pouvons pas aborder dans le cadre restreint de cette page. Rappelons tout de même que la théorie de la métrique du 'Arudh n'est venue que pour expliquer un phénomène poétique qui existait déjà.

 

A titre d'exemple, la combinaison d'un Watad et d'un Sabab va nous donner huit formes possibles: WS, SW , WS*, S*W, W*S, SW*, W*S* et S*W*. Les six dernières formes ne seront pas retenues comme paradigmes de base pour les raisons que nous avons exposées plus haut. Il ne nous restera donc que les deux paradigmes de base (à cinq consonnes) :

 

1. [WS] = (AAB)(AB) forme primaire désignée par (Façû)(lun) ;

2. [SW] = (AB)(AAB) forme dérivée par permutation, désignée par (Fâ)(çilun) .

 

 De la même façon, la combinaison d'un Watad et deux Sabab va nous donner vingt-quatre (24) formes possibles: WSS, W*SS, WSS*, W*SS*, WS*S, W*S*S, WS*S*, W*S*S* et toutes leurs permutations circulaires (en déplaçant le Watad en troisième position puis en deuxième position). Cependant, et pour les mêmes raisons que précédemment, seules huit parmi ces formes seront retenues comme paradigmes de base (à sept consonnes):

 

3. [WS*S] = (AAB)(AA)(AB) = (Mufâ)(çala)(tun) forme primaire;

4. [S*SW] = (AA)(AB)(AAB) = (Muta)(fâ)(çilun) forme dérivée par permutation;

5. [WSS] = (AAB)(AB)(AB) = (Mafâ)(çî)(lun) forme primaire ;

6. [SSW] = (AB)(AB)(AAB) = (Mus)(taf)(çilun) forme dérivée par permutation ;

7. [SWS] = (AB)(AAB)(AB) = (Fâ)(çilâ)(tun) forme dérivée par permutation.

8. [W*SS] = (ABA)(AB)(AB) = (Fâçi)(lâ)(tun) forme primaire, homonyme de [SWS];

9. [SSW*] = (AB)(AB)(ABA) = (Maf)(çû)(latu) forme dérivée par permutation;

10. [SW*S] = (AB)(ABA)(AB) = (Mus)(tafçi)(lun) forme dérivée par permutation, homonyme de [SSW].

At Tafâçîl : Les paradigmes de base.

Façûlunèçilun.

Mufâçalatun è Mutafâçilun.

Mafâçîlun è Mustafçilun èçilâtun.

çilâtun è Mafçûlâtu è Mustafçilun.

 

4/ Les Formes Poétiques théoriques.

 

Avec ces dix paradigmes de base, la théorie du 'Arudh va intégrer pratiquement toutes les formes poétiques dites classiques.

Ces formes, les mètres prosodiques ou (Buhûr) sont au nombre de seize. Ils sont regroupés en cinq cercles de permutations circulaires ou cercles poétiques. A l'intérieur d'un même cercle, les mètres se déduisent les uns des autres par permutations circulaires des Watad et des Sabab. (Le premier mètre d'un cercle poétique devant débuter par un paradigme de base primaire.)  

Des théoriciens modernes essayent toujours de faire dériver tous ces cercles d'un seul et unique Grand Cercle Poétique même s'il a été démontré (Voir Bibliographie, Mostepha Harqat.) que ce problème n'avait pas de solution, tout au plus une solution "artificielle" .

 

Premier Cercle.

Ce cercle qui est construit sur le mètre Al Tawwil (Long) comportera deux autres mètres Al Madîd (Prolongé) et Al Bassît (Simple). (Dans la permutation circulaire, deux formes seront rejetées. )

 

Le mètre Al Tawwil: Façûlun . Mafâçîlun . Façûlun . Mafâçîlun . Soit: WS|WSS|WS|WSS.

 

Le mètre Al Madîd : Fâçilâtun . Fâçilun . Fâçilâtun . Fâçilun . Soit: SWS|SW|SWS|SW.

 

Le mètre Al Bassît : Mustafçilun . Fâçilun . Mustafçilun . Fâçilun . Soit: SSW|SW|SSW|SW.

 

Deuxième Cercle.

Ce cercle comporte deux mètres Al Wâfir (Riche) et Al Kâmîl (Parfait). (Une forme ne sera pas retenue dans la permutation circulaire. )

 

Le mètre Al Wâfir : Mufâçalatun . Mufâçalatun . Mufâçalatun. Soit: WS*S|WS*S|WS*S.

 

Le mètre Al Kâmil : Mutafâçilun . Mutafâçilun . Mutafâçilun. Soit: S*SW|S*SW|S*SW.

 

Troisième Cercle.

Ce cercle comportera trois mètres Al Hazaj (Chanté), Ar_Rajaz (Lutte) et Ar_Ramal (Orné).

 

 Le mètre Al Hazaj : Mafâçîlun . Mafâçîlun . Mafâçîlun. Soit: WSS|WSS|WSS.

 

Le mètre Ar Rajaz : Mustafçilun . Mustafçilun . Mustafçilun. Soit: SSW|SSW|SSW.

 

Le mètre Ar Ramal : Fâçilâtun . Fâçilâtun . Fâçilâtun. Soit: SWS|SWS|SWS.

 

Quatrième Cercle.

Ce cercle comportera six formes As_Sariç (Rapide), Al Munsarih (Libre), Al Khafif (Léger), Al Mudhariç (Ressemblant), Al Muqtadhab (Retenu) et Al Mujtath (Taillé). (Trois formes obtenues par permutation ne seront pas retenues.)

 

 Le mètre As Sariç : Mustafçilun . Mustafçilun . Mafçûlâtu . Soit: SSW|SSW|SSW*.

 

Le mètre Al Munsarih : Mustafçilun . Mafçûlâtu . Mustafçilun. Soit: SSW|SSW*|SSW.

 

Le mètre Al Khafif : Fâçilâtun . Mustafçilun . Fâçilâtun. Soit: SWS|SW*S|SWS.

 

Le mètre Al Mudhariç : Mafâçîlun . Fâçilâtun . Mafâçîlun. Soit: WSS|W*SS|WSS.

 

Le mètre Al Muqtadhab : Mafçûlâtu . Mustafçilun . Mustafçilun. Soit: SSW*|SSW|SSW.

 

Le mètre Al Mujtath : Mustafçilun . Fâçilâtun . Fâçilâtun. Soit: SW*S|SWS|SWS.

 

Cinquième Cercle.

Ce dernier cercle ne comporte que deux mètres Al Mutaqârib (Rapproché) et Al Mutadârik (Visible).

 

 Le mètre Al Mutaqârib : Façûlun . Façûlun . Façûlun . Façûlun. Soit: WS|WS|WS|WS.

 

 Le mètre Al Mutadârik : Fâçilun . Fâçilun . Fâçilun . Fâçilun. Soit: SW|SW|SW|SW.

 

Les formes théoriques exposées plus haut ne représentent qu'un seul hémistiche du vers; vers qui comporte en fait deux hémistiches identiques. Mais dans la pratique, le mètre prosodique classique s'écartera toujours de sa forme théorique. La section suivante se propose de décrire la nature des transformations qui affectent les paradigmes de base.

 

5/ Les Relâchements.

 La théorie du çArudh va définir le cadre "légal" des transformations que pourra subir un paradigme par rapport à sa forme théorique. Ces transformations que nous appellerons "relâchements" sont de deux sortes: Un relâchement accidentel, appelé "Zihâf" (boiterie) et un relâchement permanent appelé "çilla" (maladie). Ces deux types de relâchements suffisent à rendre compte de la multiplicité des formes poétiques classiques.

 

  • Le relâchement de type " Zihaf " :

 Ce relâchement n'affectera que la deuxième lettre des Sabab. Il est occasionnel dans un poème, c'est-à-dire qu'on ne le retrouve pas systématiquement à la même position dans les vers successifs. Il peut impliquer tous les Sabab d'un même paradigme. Il n'affectera que rarement les Sabab des derniers paradigmes des hémistiches.

Le Zihaf est principalement de trois sortes:

1/ Transformation d'un Sabab lourd en Sabab léger. (AA) è (AB).

2/ Suppression de la consonne muette d'un Sabab léger. (AB) è (A).

3/ Suppression d'une consonne vocalisée d'un Sabab lourd. (AA) è (A).

 

  • Le relâchement de type " çilla " :

Ce relâchement affecte les Watad comme les Sabab. Il est "constitutionnel"; c'est-à-dire qu'on le rencontrera toujours à la même position dans un poème où il affectera toujours les mêmes paradigmes dans un hémistiche. Généralement, il se limite aux derniers paradigmes des hémistiches.

La çilla peut être de plusieurs sortes, les plus fréquentes sont les suivantes:

1/ Suppression d'un Sabab à la fin d'un paradigme. Exemple: Façûlun (devient)è Façal; soit : WS è W.

2/ Suppression d'un Watad à la fin d'un paradigme. Exemple: Mutafâçilun è Mutafâ = Façilun ; soit: S*SWè S*S.

3/ Suppression d'une consonne vocalisée d'un Watad groupé. (AAB) è (AB). (Le Watad prendra alors l'aspect d'une syllabe longue, Sabab léger)

4/ Ajout d'une consonne muette à la fin d'un paradigme. Exemple: Fâçilun è Fâçilân ; soit : (AB)(AAB) è (AB)(AABB).

5/ Ajout d'un Sabab léger à la fin d'un paradigme. Exemple: Mustafçilun è Mustafçilâtun ; soit : SSWè SSWS.

 

6/ Les formes Poétiques Usuelles.

 Dans la pratique, les seize mètres ne se présenteront pas toujours comme ils sont décrits dans la théorie; c'est-à-dire complets (ou "Tâm"). Outre les relâchements qui vont affecter leurs différents paradigmes, certains d'entre eux vont apparaître avec un paradigme en moins, le dernier de chaque hémistiche, c'est ce qu'on appelle la forme tronquée ou " Majzu". D'autres n'auront qu'un seul hémistiche complet ("Mashtûr"), ou alors un seul hémistiche tronqué de son dernier paradigme ("Manhûk").

 

A/ Les Mètres qui seront TOUJOURS sous la forme COMPLETE sont:

Al Tawwil; As Sari'; Al Munsarih; Al Mutadharak.

 

B/ Les Mètres qui seront TOUJOURS sous la forme TRONQUEE sont:

Al Madid (trois paradigmes au lieu de quatre); Al Hazaj (deux au lieu de trois); Al Mudhari' (deux au lieu de trois); Al Mujtath (deux au lieu de trois); Al Muqtadhab (deux au lieu de trois).

 

Les autres mètres apparaîtront tantôt dans la forme complète tantôt dans la forme tronquée.

 

Remarque:

En poésie classique, l'hémistiche (la moitié du vers) est appelé "Shatr" . Le vers entier est dit " Bayt " (littéralement maison ou tente d'habitation à cause des cordes - Sabab - et des pieux - Watad - )

La Çan'a garde la dénomination de l'hémistiche mais utilisera le mot "Ghessen" (littéralement branche) pour désigner le vers entier. Notons qu'en Çan'a le vers peut comporter jusqu'à plus de huit hémistiches. Quant au terme "Bayt" il désignera le couplet. (Voir plus bas: Structures et Thèmes.)

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  • LES FORMES POETIQUES DANS LA NOUBA ÇAN'A.

Les poésies que nous rencontrons dans la Çan’a (Nouba et Niqabates) peuvent se diviser en deux groupes suivant la langue utilisée.

1. Un premier groupe qui rassemblera les poésies écrites en arabe classique.

Les poésies de cette catégorie se présenteront presque toujours dans des structures à deux hémistiches par vers (les Ghessen). Elles rappellent la Qacida classique et obéiront de ce fait à tous les critères du 'Aroudh.

 

2. Un second groupe qui rassemblera les poésies écrites dans un arabe proche du dialecte (caractérisé par la présence à l’intérieur des hémistiches de syllabes surlongues).

Les poésies de ce deuxième groupe sont souvent des formes éclatées des mètres classiques. Elles se présenteront avec des vers à plusieurs hémistiches courts qui, quand ils sont groupés de façon appropriée, permettent de retrouver tous les rythmes de la poésie classique.

 

Le poème est divisé en couplets de deux à sept vers. Chaque couplet, appelé "Bayt" (maison), possède une organisation particulière. Le plus complet étant celui qui possède sept vers. Dans ce cas les deux premiers vers et les deux derniers posséderont la même rime et les mêmes structures poétiques et rythmiques: On les nomme "Matlaa" . Notons que dans cette construction la rime change généralement d'un couplet à l'autre. Signalons enfin que la rime médiane (fin d'hémistiche), qui peut apparaître comme facultative, devait être (et elle l'est) un élément fondamental dans la construction poétique Çan'a... (Voir plus bas: Structures et Thèmes)

 

Pour résumer, nous dirons que les poésies de la Nouba Çan’a pourront toujours entrer dans le cadre d’une théorie de la métrique du type ‘Aroudh ; un modèle de description Quantitatif (les paradigmes) et Accentuel (position relatives des syllabes chantées à l’intérieur des structures rythmiques).

 

 Nous donnons ci-dessous un résumé des formes rencontrées dans la Nouba Çan’a.

Rappelons tout de même, avant de commencer, que dans la Çan’a, l’hémistiche est au centre de toute la construction poétique et rythmique. Pour preuve, nous pouvons rencontrer dans le corpus des poésies où le premier hémistiche d’un vers épousera une forme poétique et le second hémistiche du même vers épousera une autre forme; phénomène inconnu en poésie classique.

* * *

Le mètre Al Tawwil : Toujours dans sa forme complète avec une déclinaison systématique du quatrième paradigme en (Mafâ)(çi)(lun) dans le premier hémistiche.

Dans la Çan'a nous rencontrons une forme "éclatée" de ce mètre avec seulement deux paradigmes par hémistiche.

 

Le mètre Al Madid : Ce mètre se présente toujours sous sa forme tronquée à trois paradigmes. Le troisième paradigme pouvant subir des transformations de type 'illa. D'un usage très limité en poésie classique arabe à cause de sa ressemblance "rythmique" avec d'autres mètres (le Ramal et le Khafif); il est pratiquement introuvable dans le corpus de la Çan'a.

 

Le mètre Al Bassit : Dans la Çan'a nous le retrouvons dans sa forme complète mais aussi dans une forme "éclatée" à deux paradigmes, forme qu'on pourrait aussi classer dans le Rajaz tronqué. Quant à la forme tronquée du Bassit, elle sera classée comme un mètre à part entière. Voir ci-dessous.

 

Le mètre Mukhala' Al Bassit : C’est la forme tronquée la plus usitée du mètre Al Bassit dans la Çan,’a. L’hémistiche se présentera sous la forme suivante : Mustafçilun / Fâçilun / Façûlun. Soit SSW/SW/WS.

 

Le mètre Al Lahiq : C’est une forme rythmique proche du Mukhala' Al Bassit. Décrite par un autre théoricien, Hazam Al Qartâjinî (inconnue chez Al Khallil). Une forme intéressante car relativement courante dans la Çan’a. Elle se présente avec des hémistiches à deux paradigmes longs (Mustafçilâtun) qu'on obtient en ajoutant un Sabab au paradigme de base Mustafçilun, Soit SSWS.

 

Le mètre Al Wafir : Très rare dans le corpus de la Çan'a. Ce mètre se présente dans sa forme complète avec une déclinaison systématique du troisième paradigme des hémistiches en Façûlun. Il adopte aussi la forme tronquée à deux paradigmes.

 

Le mètre Al Kamil : Se présentant sous forme complète ou tronquée, il est surtout utilisé dans le chant libre (Istikhbar) et dans le répertoire religieux.

 

Le mètre Al Hazaj : Ce mètre apparaît toujours dans sa forme tronquée à deux paradigmes. Rare dans la Çan’a où il n'intéresse que les poésies de la deuxième classe (prononciation à la façon du dialecte).

 

Le mètre Ar Rajaz : Ce mètre est un des plus utilisés dans la Çan’a où il n’apparaîtra jamais dans sa forme complète à trois paradigmes (contrairement à ce qui se fait en poésie classique arabe). Il exploitera toutes les possibilités de la forme à deux paradigmes (Majzu Al Rajaz) avec tous les relâchements permis sur le deuxième paradigme.

 

Le mètre Ar Ramal : C’est la forme la plus "étoffée" de la poésie Çan’a ; celle qui utilise le plus grand nombre de rythmes mélodiques. Le mètre Al Ramal apparaît ainsi comme le Mètre de la musique par excellence. On le retrouve dans ses différentes formes, complète et tronquée.

 

Le mètre As Sari' : Il n’y a pratiquement pas d’exemple de ce mètre dans la Çan’a. Dans la pratique, et dans la poésie classique arabe, ce mètre va apparaître avec une déclinaison systématique des troisièmes paradigmes en Fâçilun.

 

Le mètre Al Munsarih : Ce mètre se retrouve presque toujours dans une forme très proche de sa forme théorique (à un ou deux relâchements près). Quelques exemples seulement dans la Çan'a.

 

Le mètre Al Khafif : Dans le corpus de la Çan'a, nous le retrouvons le plus souvent dans sa forme tronquée (Majzu Al Khafif) avec un deuxième paradigme presque toujours décliné en Mafâçilun. On le retrouve aussi dans sa forme complète avec un troisième paradigme décliné en Fâçilun.

 

Le mètre Al Mudhari' : Ce mètre n’apparaît pas dans la Çan’a. Dans la poésie classique, il apparaît toujours dans sa forme tronquée.

 

Le mètre Al Muqtadhab : Ce mètre n’apparaît que dans sa forme tronquée comme cela se fait en poésie classique. Très usité en Çan'a.

 

Le mètre Al Mujtath : Ce mètre, assez courant, se retrouve toujours dans sa forme à deux paradigmes (Majzu).

 

Le mètre Al Mutaqarib : Ce mètre à quatre paradigmes apparaîtra aussi, et dans la Çan'a uniquement, dans une forme "éclatée" à seulement deux paradigmes par hémistiches. La préférence rythmique ira à la forme qui décline son quatrième paradigme en Façal.

 

Le mètre Al Mutadharik : Ce mètre à quatre paradigmes, très peu usité en poésie classique, apparaîtra dans une forme où tous les paradigmes sont déclinés. Dans la poésie Çan'a, la préférence ira aux trois formes spécifiques suivantes, inhabituelles en poésie classique à cause de la présence de la déclinaison en Façûlun.

1. Façlun / Fâçilun / Façlun / çilun * Façlun / Fâçilun / Façlun / Façûlun.

2. Façlun / Fâçilun / Façlun / Façûlun * Façlun / Fâçilun / Façlun / Façûlun.

3. Façlun / Fâçilun / Façlun / Façûlun * Façlun / Fâçilun / Façlun / Façal.

(*). Les paradigmes soulignés restent constants et ne subiront pas de relâchements.

Notons qu'une forme simple à deux paradigmes (éclatée) est aussi présente dans le répertoire.

 

Autres formes poétiques:

Les autres cas de figures sont des micro-formes écrites en hémistiches courts (plusieurs par vers) qui ne dépassent pas la longueur d’un paradigme de base de la poésie.

Ces formes n’apportent rien de plus à la rythmique poétique. Elles nous serviront à vérifier que les paradigmes gardent toujours les mêmes accentuations ; celles qu’ils auraient à l’intérieur des mètres constitués. Leur classement se fera d’après la nature du premier paradigme qui apparaîtra dans le vers.

 

CONCLUSION

 1/ Les formes poétiques présentes dans la Çan’a ne diffèrent pas foncièrement de celles du ‘Aroudh.

L’hypothèse qui stipule que les poètes andalous, Maghrébins ou autres auraient exploité de nouveaux rythmes poétiques avec le Muwwashah (poésie vulgarisée dans l'Andalousie musulmane) ne trouve aucun écho dans la Çan’a. En effet, la poésie Çan'a reste très imprégnée de la " verticalité " classique et seul le vers de la Qacida aura explosé " horizontalement " en plusieurs hémistiches courts; hémistiches qui s’inscriront tous dans la continuité des rythmes classiques.

 

 2/. Dans la Çan’a la préférence ira aux formes " simples " comme les Majzu Ar Rajaz, Majzu Ar Ramal, Al Mujtath et Al Lahîq qui représentent à eux seuls plus de 80% des poésies chantées. Les mètres longs et "étoffés" de la poésie classique arabe (Al Tawwil, Al Kamîl, etc. ), très prisés des poètes andalous, restent d'un usage très limité dans le répertoire de la Çan'a.

Cette "nature" de la poésie contribue, à notre avis, à faire de la Çan’a une tradition plus proche des couches populaires… En a-t-il toujours été ainsi ? A méditer…

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  • LA RELATION POESIE / MUSIQUE.

 Les poésies de la Çan’a sont découpées, lors du chant, en groupes de syllabes. On appelle découpage de la poésie la distribution de ces syllabes sur les mesures de la mélodie. Chaque groupe de syllabes appartenant à une même structure rythmique (extension de la notion de mesure) définit ce que nous désignerons par paradigme. Le découpage observé dans la pratique est dit "Conforme" quand, pour une forme poétique donnée, les paradigmes qu'il définit sont identiques à ceux de la théorie du Aroudh. Il est dit "Non Conforme" dans les autres cas (La différence avec la théorie ne portera que sur la position de la césure).

 Une étude approfondie des mécanismes du découpage va nous montrer qu’il obéit à des règles relativement simples ; identiques à celles de la poésie classique (le ‘Aroudh). Ce lien étroit (et quelque peu prévisible) avec la poésie classique nous a suggéré une série d’hypothèses que l’étude de la cohérence des morceaux du répertoire va confirmer par la suite.

 Parmi ces résultats nous retiendrons les points suivants :

1. Les entités récurrentes qui apparaissent lors du découpage sont identiques aux paradigmes de la poésie classique (Al Tafa’îl).

2. Chaque paradigme de base de la poésie recevra lors du chant une accentuation unique et pratiquement invariante. Il en sera de même pour les paradigmes qui auront subi des changements morphologiques (relâchements de type Zihaf et 'illa décrit dans le 'Aroudh)

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  • LA POESIE DANS LE REPERTOIRE APPARENTE.

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  • LES STRUCTURES, LES THEMES.

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