Cheikh Sadeq El Bedjaoui

( 1907 - 1995 )

 

 

Cheikh Sadeq El Bedjaoui, de son vrai nom BOUYAHIA Sadeq, est né le 17 décembre 1907 à Béjaïa. Très jeune, il s'intéresse à la musique traditionnelle Çan'a dans les genres Nouba, Hawzi, Aroubi....

Il suit de très près l'activité musicale à Béjaïa; une ville qui a toujours reçu les nombreux artistes d'Alger (de Sfindja à Bentefahi, ...), de Blida (Cheikh Chikhi Dirrar -originaire de Tlemcen-, ...) et de Tlemcen (Larbi Ben Sari,...) et qui avait ses propres figures de la musique tels Si Mohamed Belhadad, les frères Hadj Omar (les oncles de Bentefahi d'Alger), Cheikh Boualem Bouzouzou, Allaoua M'hindate...

Passionné, se découvrant un don pour la musique et des aptitudes pour l'écriture (mélodies et paroles), il "monte", à 17 ans, une petite troupe de musique....

En 1932, le maalamem Sassi accompagné du pianiste Moïse Ammar se produisent à Béjaïa. Ils découvrent Cheikh Sadeq. Séduits ils le prient de les rejoindre à Alger... Ce n'est qu'un an plus tard qu'il se décidera !

 
  • LES ASSOCIATIONS.
Pour parfaire ses connaissances musicales, il décide, en 1933, de se rendre à Alger où il fait la connaissance de Laho Serror (une des grandes figures de la musique Çan'a, il avec Sfindja et Yafil participé aux travaux de Rouanet sur la musique) qui le présente au Maalam Mekhilef Bouchara professeur de l'association El Mossilia qui avait Djabir Bensmaïa comme président... Il est donc introduit dans cette association où il fait ses classes sous la direction du dit professeur et de Mahieddine Lakehal...

La fréquentation de cette association lui permet de rencontrer de nombreuses personalités: Sid Ahmed Lakehal (speaker et animateur d'émissions littéraires à la radio), Omar Racim (le peintre) -originaire de Béjaïa-, le Mufti BabaAmeur... et les nombreux musiciens qui se relayent au local mythique du 10 rue Médée.

 
Vers 1934, il se déplace régulièrement à Blida en compagnie de son maître Mahieddine Lakhehal qui a l'habitude d'aller donner des cours aux membres de l'association musicale El Widadiya...

El Widadiya où il y avait Hadj Mahfoud, Larbi BenAchour, Benguergoura, Dahmane BenAchour , Hadj Medjbeur, Bouchakour et le chanteur Mohamed El Mahdi alias "Qazzouh" (qui nous a laissé quelques enregistrements).

Voici un extrait d'un enregistrement (1932) de Cheikh el Mahdi. (Au violon El Hadj Mohammed El Anka). Ouvrir ou télécharger le fichier son au format mp3 ; elmahdi.mp3 La chanson "ya lli thab taghlab radjalha taamalou lashar" (Pour celle qui veut prendre le dessus sur son mari, voici des recettes de magie blanche). illustration du style musical des années 1930.
               
C'est à cette époque (1934) qu'il va à Tlemcen et qu'il fait la connaissance du Maître Larbi Ben Sari et de son fils Redouane. Il nous dira qu'il aura beaucoup appris des musiciens de Tlemcen : répertoire et techniques instrumentales (alto, Rebab).
               
Après son séjour algérois (vers 1938), Sadeq El Bedjaoui retourne à Bejaïa où il fonde trois associations de musique (El Chabab El Fenni, El Inchirah et Ech Chabiba). Associations qui rencontreront de nombreuses difficultés pour être finalement dissoutes par l'administration.
               
  • LA RADIO.
De 1947 (avec l'ouverture de la station régionale de la Radio à Bejaïa) et jusqu'en 1962, il anime des émissions en Direct sur Radio Béjaïa... Chaque semaine il prépare 3 à 4 chants avec le souci permanent de varier la production (Par ailleurs l'Orchestre de la Station à Alger le sollicite régulièrement pour des concerts)...

Il y avait les pièces radiophoniques et les émissions en langue Kabyle (quatre par semaine) et les émissions en langue arabe (deux par semaine) dont Cheikh Sadeq avait la charge...

Il signera une nombreuse production: Des pièces radiophoniques (El Qammar, ...), quelques Niqlabâtes (El wardu khabal Aamayam, Ya Sahi Istayqad fi el çabah, Ya Mahsan djamalak, ...) des qacidates (mouhawarates -Dialogue- entre Tlemcen et Béjaïa, une sur l'histoire de Constantine, une sur Sidi Thaalibi le saint patron d'Alger, El Mokrani, un dialogue élève professeur, ...), des pièces pour El Ghazi (chant Kabyle), pour Ababsa (dans le genre Bédoui), des adaptations pour le répertoire religieux, du Haouzi, du Haoufi, du Kabyle... Toutes les archives de ces productions existent toujours au niveau de la Radio et/ou de l'Office des droits d'auteurs d'Alger.

Cheikh Sadeq El Bedjaoui aura fortement marqué le paysage radiophonique de la ville de Béjaïa...

               
Voici un extrait d'une des rares pièces (trois au total) où Sadeq El Bedjaoui chante en kabyle. Un duo avec Abdelouahab Abdjaoui. Une petite pièce séduisante de simplicité qui exploite le mode Aaraq dans un dialogue entre un chacal (Mohand ouchen) et un coq (a bel yazidh). Ouvrir ou télécharger le fichier son mp3 : sadeq001.mp3
               
  • LE CONSERVATOIRE DE BEJAIA.
En mars 1963 et avec l'aide du Maire de la ville (Youssef Kebbache) il remet en état le conservatoire de la ville. (Comme de nombreux édifices -bibliothèques, théâtres, ... - ce conservatoire avait subi de graves dommages au lendemain de l'indépendance.) Il dirigera ce conservatoire, une des premières écoles de musique de l'Algérie indépendante, de 1963 à 1982... Il y apportera sa contribution (conseils et enseignements de quelques morceaux) jusqu'en 1986.

Notons que ce conservatoire formera de nombreux musiciens qui s'illustreront dans de nombreux genres de musique; tous sont, directement ou indirectement, des élèves de Sadeq El Bedjaoui...

Mouhoub Chenna (le doyen), El Ghazi, Djamal Allam, Mohamed Raïs, Abdelwahab Abdjaoui, Youcef Abdjaoui, Kamel Stambouli... pour ne citer que les plus connus.

Par ailleurs, le conservatoire de Béjaïa participera à tous les festivals de musique à travers le pays aussi bien dans le genre Çanaa que dans le genre Chaabi. Il se distinguera par un riche palmarés et surtout par sa composante continuellement renouvelée à chaque "sortie"... (*)

(*). Comparativemet à la stagnation affichée dans la composante des classes supérieures des associations où l'on retrouve des "vétérants" sur scène (avec plus de dix ans de présence dans la classe supérieure, avec tout ce que cela peut représenter comme blocage et sentiment d'injustice chez les élèves des classes inférieures qui aspirent eux aussi à une évolution dans la pratique de cet art). Des associations qui avaient pour vocation la formation ne "vivent" plus que pour les représentations et les voyages à l'étranger... Un phénomène déjà assez ancien qui dénote une crise majeure dans la gestion de la formation musicale dans les Associations. (Voir notre section Histoire des Associations.)

 
  • LA SCENE ET LES ENREGISTREMENTS.
Il est difficile de recenser toutes les "sorties" pour un maître de l'envergure de Sadeq El Bedjaoui . Depuis le début de sa carrière longue à Bejaïa, nous le retrouvons sur toutes les scènes (soirées privées, festivals, hommages, etc): à Alger, Blida, Constantine, Tlemcen, dans plusieurs villes du Maroc (à Oujda où on dit qu'il aurait joué avec le maître oranais Eliaho Bensaiid), en Tunisie (où il a reçu en 1947 une distinction du Bey), ....

Pourtant, et c'est presque un paradoxe, le nombre de ses enregistrements (connus du grand public) reste très réduit... On lui connaît des enregistrements pour la radio et pour la télé(*) (Noubates -Dhil, Mjenba, Hsin, Ghrib, trois Raml Al Maya-, Maya, Zidane, Niqlabates, Haouzi, Aaroubi, Haoufi, Qacidates religieuses (et la fameuse "Bouchra lana" du Majmaa Al Qaçaid Wal Adiiya),...),

(*). Pour la télé (1986) avec son fameux "qalbi ma yahmal dag dag" (avec son ccent Boujiote) dans un Khlass "el khilaa taadjabni". Un enregistrement (Lerryam) qui avait fait un grand succès qui passait et repassait à la télé.

Ce sera aux mélomanes et aux chercheurs d'oeuvrer pour recenser et pour compliler tous les enregistrements (privés et public) du Maître.

Sadeq El Bedjaoui, aurait pu faire plus pour l'enregistrement de la musique, mais dépité par les méthodes de travail des responsables de l'audio-visuel de l'époque il a préféré s'abstenir en évitant tout contact avec eux. Un bon nombre de Maître (du patrimoine chaabi, "arabo-andalou", bedoui, ...) ont fait de même... Sur le tard, fin des années 1980, M. Zerrouki Bouabdellah (du Studio qui s'est spécialisé dans les enregistrements Çan'a - Kheznadji Mohamed, Mokdad Zerrouk, Saoudi Nourredine, Serri Ahmed, Khedim Hamid, Rahal Beihdja, El Mossilia, El Gharnatia-) qui se le sollicitera pour des enregistrements mais il déclinera l'offre.

               

Sadeq El Bedjaoui

et le Grand Orchestre d'Alger dirigé par Abderrezaq Fakhardji

On reconnaît sur la photo (de piètre qualité on vous l'accorde !) de gauche à droite: Djaïdir Hamidou (Derbouka), Mezghana(Kwitra), Mohamed Bahar (Kwitra), AbdelKrim Dali (Luth). Deuxième rang: Kechkoul (luth), Mahmoud Messekdji (Kwitra), Sid Ahmed Serri (Mandole), Mohamed Khaznadji (Mandoline)... Fergane, Alice Fitoussi, Kasdali, Abdelghani faisaient partie de l'orchestre.
               

Sous un autre angle (photo Collection Nassima)

               

Sadeq El Bedjaoui

(Photo envoyée par le Docteur Driss Sraïri de Rabat): On reconnaît Dahmane BenAchour au violon, Hadj Medjber, Sadeq El Bidjaoui, Fakhardji Abderrezaq, Hadj Mahfoud tête baissée, Serri et Mohamed Khodja dit "dziri" le blidéen, en haut kechkoul au luth
               
  • LES RECHERCHES EN MUSIQUE.

Musicien et interprète talentueux, Sadeq El Bedjaoui qui a "touché" à toutes les musiques et tout particulièrement aux répertoires Maghrébins de la Nouba et qui a connu les principaux acteurs de ces traditions nous a éclairé sur de nombreux points relatifs à l'histoire et à la théorie de la musique à travers ces nombreuses interventions dans la presse et la Radio. Nous ne lui connaissons pas d'écrits sur la musique (?).

Parmi ces interventions (liées à ses recherches) nous retiendrons :

- qu'il était contre l'écriture musicale dans la Nouba... Considérant les expériences auxquelles il a assisté, autant dire que les transcripteurs de son époque - qui n'appartenaient pas au monde de la musique traditionnelle- ne travaillaient pas du tout pour la fixation de cette musique.

- qu'il est le premier (et nous croyons le seul) à avoir tenté d'expliquer les particularités du mode Ghrib (et surtout la présence de morceaux à la sonorité proche du Tab' Sika dans la Nouba Ghrib) en le rapprochant des Maqam Bayati et Bayati Chouri... (Cet aspect des choses peut être généralisé à tous les tubu' de la Çan'a. Voir notre Section Aspects Techniques) Il est allé jusqu'à proposer de jouer un Istikhbar Sika dans la Nouba de ce Tab' : presque une hérésie (comme quoi, pour lui, la musique n'est pas figée...)

- qu'il a déclaré :"Alger est le pivot de la musique dite andalouse", en considérant la richesse mélodique du répertoire algérois... et en le comparant aux autres répertoires.

- qu'il nous parle des deux façons de jouer du Rebab en Algérie - sur une corde, alors qu'au Maroc ils jouent sur deux cordes-: Maya Matlouq (maya à vide) à Tlemcen et Raml Makhnouq (raml pressé) à Alger une façon de jouer pratiquement abandonnée au détriment du jeu plus simple à la Tlemcénienne. (Benfarachou, Mouzino, Bouchara, Med Fakhardji sont les derniers héritiers de cette tradition du Raml Makhnouq d'après Sadeq El Bedjaoui)

Mais la plus significative des interventions et celle qui traduit le plus son esprit critique reste la fameuse remarque: "Ces derniers temps j'entends de plus en plus de musique, dans les festivals, etc., je constate et sens qu'il y a beaucoup de choses qui manquent, mais les gens ne se rendent pas compte de cela même si on leur fait des remarques. Alors je leur dit : Tenez mon oreille pour écouter avec ! "

               

* * *

Sadeq El Bedjaoui nous a quitté le 07 janvier 1995 à Béjaïa sa ville natale où il repose.

Nous garderons de lui le souvenir d'un ténor qui incarnait toute une tradition dans la lignée des grands interprètes juifs et musulmans qui avaient aisance, maîtrise, puissance, art de l'improvisation et qui, sur scène, savaient entretenir une atmosphère chaleureuse....

Interprète hors pair, il avait une grande estime pour l'art qu'il pratiquait. Conscient de ses capacités vocales, il savait rester dans le cadre rigide de l'interprétation scolastique comme il aimait se faire plaisir en nous surprenant par des envolées lyriques qui ont dérouté plus d'un orchestre accompagnateur... Et, comme il aimait à le répéter :"Il y a chanteur et chanteur... et ce n'est pas en chantant comme une mouche et qu'on vous place un micro devant la bouche qu'on devient un éléphant."

El Hadj Djaïdir Hamidou (Voir Album Çan'a) se souvient que quand Mahieddine Bachtarzi ou Sadeq El Bedjaoui (les deux grands ténors du 20ème siècle) étaient sur scène l'orchestre et les percussions devaient se faire discrets pendant la partie chantée !

Depuis 1992, en son Honneur et en Hommage (de son vivant) à sa personne et tout son parcours musical la vile de Béjaïa organise annuellement un festival de Musique.

En 2001, l'Académie de Musique Arabe lui a rendu un hommage lors de son Congrès.

               
Extrait Sonore de l'interview : sadeq002.mp3              
               

Notes

1. Sadek racontait à ses proches les soirées très "bénéfiques" qu'il passait au café Saoud (qahwet saoud) à Oran chez Saoud l'Oranais (Messaoud el medioni) 5, rue de la révolution, lieu de rencontre de grands artistes et mélomanes, il passait des heures à y discuter avec le Maître juif Maalem Zouzou (Joseph Guenoun, mort centenaire en 72 à Nice) étant aveugle, zouzou se faisait conduire par son fils qui en se fatiguant rappelait à son père qu'il était l'heure de rentrer à la maison, Zouzou lui répondait "A wlidi, khellini, je suis avec un Monarque !!!"
               
2. Sadek avant de quitter Bejaia jouait de la kouitra (l'alto instrument avec lequel il est connu du grand public est venu bien plus tard, à alger).
               
3. Sadek El Bedjaoui attribue le poème "ya bellaredj ya touil el gayma" à Chikh Boualem Bouzouzou. Il a donné le texte avec l'air (version originale à son dernier élève, M'hamed Schbayem, qui l'a enregistré sur K7 commerciale).
               

Sortie sur Tlemcen en 1938 avec Sadeq El Bedjaoui (manteau clair 3ème depuis la gauche)

Photo Collection Nassima

Page d'après un entretient accordé à radio Alger chaîne I en date de Vendredi 08 mai 1987 : émission "Réverbère" et avec les remarques de M. H. Tarik.
               
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